Tavelure: Un portrait de famille des fongicides disponibles

Dernière mise à jour le 16 mai 2024
 

Au cours des 25 dernières années, les outils disponibles pour lutter contre la tavelure ont considérablement changé. Au moins trois facteurs ont forcé les producteurs à s’adapter:

1) La résistance de la tavelure aux fongicides a joué un rôle de premier plan. Les fongicides du groupe 11 (strobilurines, QoI) représentés par des produits comme Sovran et Flint sont apparus au tournant du siècle et sont déjà quasiment disparus à cause de la résistance. Contre la tavelure, il ne restera bientôt que le Merivon qui en contiendra, mais en mélange seulement. Le groupe 3 (IBS), qui était la pierre angulaire de nos stratégies de jadis (Nova), a été renouvelé pour affronter la résistance et quelques produits comme Inspire Super et Cevya sont encore recommandables.

2) L’innovation a été plus lente que la résistance, mais l’arrivée du groupe 7 (SDHI), avec une pléthore de produits (Aprovia, Fontelis, Sercadis, etc.), a donné un sursis, du moins jusqu’à ce que le champignon s’y adapte. D’autres nouveautés PFI (à venir) non apparentées aux produits actuels (ex.: Kinoprol) pourraient aussi faciliter les rotations à partir de 2025.

L’homologation du bicarbonate de potassium (B2K), dont on ne parle pas assez, est une occasion unique pour les producteurs du Québec. Le B2K est efficace, pas cher, “bio” et à l’abri de la résistance, une combinaison très rare. Les homologations “bio” sont souvent ni efficaces, ni bon marché. En fait, le B2K ne devrait pas être réservé à la communauté “bio”. Tous les producteurs devraient en profiter. Le “prix à payer” pour profiter du B2K est la flexibilité requise pour l’employer au bon moment et d’être certain de la qualité de la couverture obtenue par son pulvérisateur. Le plus grand défaut du B2K est qu’il n’est pas systémique et donc une mauvaise couverture de la face supérieure des feuilles laissera passer des taches.

3) La réglementation canadienne, et en particulier le retrait du Polyram, les restrictions majeures sur l’utilisation du Captan et celles sur le mancozèbe vont compliquer davantage le choix des produits.

Dans ce contexte, nous avons opté pour tester quasiment tous les produits disponibles pour mieux guider vos choix de traitements. Les produits biologiques, à faibles risque, et les produits anciens y sont presque tous passés.  L’efficacité pour les traitements de protection, pendant la pluie, après l’infection: toutes les stratégies ont été considérées. Comme le coût des produits n’est pas négligeable et très variable entre les matières actives, nous avons décidé d’inclure ce facteur dans notre sélection. Entre deux produits équivalents, il est normal que le prix soit considéré dans votre choix. La comparaison a été faite avec les prix de 2021, mais elle sera mise à jour au besoin ou sur demande.

Malheureusement, certains produits n’ont pas été testés. Les produits exclus des tests ont été choisis par les membres du réseau pommier et pourront être inclus dans un projet à venir si la demande est suffisante et si le projet est renouvelé. Ils apparaissent au tableau avec l’information disponible.

Comme la dose homologuée par l’ARLA ne garantie pas une efficacité égale entre produits, nous avons d’abord procédé en établissant une dose “équivalente” entre les formulations commerciales.

La dose équivalente est basée sur la capacité de contrer l’infection, mais ne considère rien d’autre. La dose équivalente d’un produit qui résiste au délavage (ex.: Captan) peut donc être jugée plus utile que celle d’un produit facilement lessivable par la pluie (ex.: bicarbonate ou B2K). Cependant, comme aucun produit n’a la capacité de protéger adéquatement une feuille en croissance au moment du traitement, la sortie des nouvelles feuilles est souvent beaucoup plus critique comme critère de renouvellement des traitements que le lessivage.

Dans certains cas (Buran, Cueva, Excalia, Serenade Opti) la dose homologuée n’est probablement pas assez élevée pour garantir une efficacité comparable aux autres produits. La dose “équivalente” requise ne serait pas permise. Il nous apparaissait important que cette information soit connue. Pour certains produits, l’écart est moins grand. À pleine dose, ils donnent probablement une efficacité similaire une dose faible d’autres produits (ex.: Scala). À l’inverse, la dose homologuée pour plusieurs produits (ex.: Captan, mancozeb, soufre) est très élevée et la dose “équivalente” est nettement réduite par rapport à l’étiquette.

La dose équivalente peut sembler élevée ou faible pour certains produits. Par exemple, le tableau suggère 15 kg/ha de Kumulus alors que des doses plus faibles sont régulièrement utilisées. À l’inverse, la dose équivalente pour le mélange de B2K + Kumulus est plus faible que celle recommandée (4 kg/ha + 4 kg/ha). La dose équivalente est un outil de comparaison, le calcul n’est probablement pas parfait, mais c’est la meilleure information disponible.

La dose vraiment requise dans un verger diffère selon la pression de la maladie et la qualité de la pulvérisation. Dans les vergers “propres”, une dose faible de soufre (ex.: 5 kg/ha) bien positionnée avec un pulvérisateur performant (ex.: Aircheck) pourrait donner un résultat suffisant, mais pas ailleurs. Si c’est le cas, il est possible d’ajuster la dose des autres produits en utilisant la dose équivalente comme guide.

Attention: utiliser une dose “trop faible” a cependant des conséquences importantes. La première est évidemment que laisser passer trop de taches vous oblige à des traitements plus fréquents pour le reste de la saison. L’économie initiale est vite perdue dans ce cas. Dans le cas des produits à risque de résistance, les taches qui passent sont aussi plus souvent tolérantes aux fongicides. Les doses trop faibles peuvent abréger leur vie utile.

Le “limbo” des doses est certainement une avenue intéressante, mais les limites à ne pas franchir sont réelles. Par exemple, les tests à l’IRDA avec 1,2 kg/ha de Captan 80% ont toujours donné de bons résultats, mais pas à 0,6 kg/ha. La dose de référence de nos tests avec captan pour le calcul de la dose “équivalente” est de 1,3 kg/ha  (ou 2 kg /ha de formulation 48%). La dose calculée dans le tableau s’approche donc des limites constatées sur le terrain.

En matière de gestion de la résistance, la dose “équivalente” suggérée pour toutes les familles permet d’éliminer le risque provoqué par les produits plus faibles. Par exemple,  appliquer 0,3 L/ha de Aprovia a la même efficacité que 0,6 L/ha de Excalia. Comme la dose maximale homologuée pour Excalia est seulement de 0,219 L/ha, l’efficacité attendue pour ce produit est moindre et les risques liés à la résistance sont donc accrus. Le produit a donc été exclus des recommandations.

Les contraintes réglementaires et les résultats de notre projet ont mené à différentes propositions:

Par exemple, les limites imposées sur le Captan (2 traitements) et le Mancozèbe (4 traitements) vont forcer un grand nombre de producteurs à chercher des alternatives au delà des 6 traitements classiques du groupe M “à bas prix” (<30$/ha).

L’option la plus simple pour limiter l’usage du mancozèbe et du captan est certainement d’éliminer les mélanges avec les autres fongicides. Plusieurs étiquettes de produits à risque pour la résistance (ex.: Scala) suggèrent fortement de mélanger avec un produit du groupe M pour retarder la résistance. Cette stratégie qui est aussi relayée par les services “extension” aux USA n’est pas utile pour les traitements en post infection et n’est pas nécessaire si vous faites une rotation entre les familles, ou si le produit appliqué est déjà un mélange entre les groupes (ex: Inspire Super = 3 + 9).

En considérant qu’obtenir une efficacité égale au Captan avec le Folpan (84 $/ha) ou Allegro (90 $/ha) aurait un impact majeur sur le budget, il pourrait être opportun de changer de stratégie et traiter du B2K + Kumulus en lien avec les pluies (<20 $/ha). Les stratégies sans B2K forceront le recours plus fréquent aux produits à risque de résistance (ex.: Aprovia, 32 $/ha ou Inspire Super, 52 $/ha à la dose équivalente).

Pour tous les produits testés, nous avons observé que les traitements pendant la pluie étaient les plus efficaces. Comme cette approche (traitement de germination [STOP]) ne permet pas de rémanence et que les produits sont lessivés rapidement, il vaut mieux la réserver pour les produits les moins chers (ex.: B2K + Kumulus). Les produits jugés “excellents” jusqu’à 24 heures après l’arrivée des spores peuvent être utilisés à la dose “équivalente”, soit en protection ou jusqu’à environ 250 DH après le début de l’infection (ligne rouge de RIMpro).

Nous avons constaté que l’efficacité de tous les produits chutait brutalement lors des traitements plus tardifs. C’est pour cette raison qu’aucun produit n’a été classé “excellent” pour les traitements effectués 48 heures après le début de la pluie (672 DH). Dans les cas où vous êtes forcés à traiter tardivement, ne coupez pas les doses et n’utilisez que les produits produits classés à efficacité “bonne” ou “très bonne”.

Les tableaux sont visibles en cliquant sur ce lien

La version simplifiée élimine les produits de plus de 125 $/ha et les formulations similaires d’un même produit. Le tableau simplifié élimine aussi la plupart des produits non retenus dans nos essais.

Les produits en mélange compliquent les rotations puisque deux groupes sont utilisés lors de chaque traitement. Voici notre suggestion par groupe:

Choix du groupe 3: Le difénoconazole est la molécule la plus efficace du groupe. Malheureusement, cette molécule n’est disponible qu’en mélange. Nous proposons d’utiliser Inspire Super et non Aprovia Top ou Miravis Duo pour éviter l’abus des fongicides du groupe 7. Le Cevya est aussi une option puisque la dose homologuée est similaire à la dose équivalente. En comparaison, les autres fongicides du groupe 3 ne sont pas assez efficaces à la dose homologuée

Choix du groupe 7: En absence d’information précise sur le fongicide Parade et quelques molécules non sélectionnées dans les tests, nous proposons Aprovia comme choix économique à efficacité égale. Le fongicide Fontelis est aussi efficace à la dose homologuée, mais plus cher. Évitez Miravis Duo et Aprovia Top pour maintenir la possibilité d’utiliser un groupe 3 au moment jugé opportun.

Choix du groupe 9: Comme les produits du groupe 9 ne sont pas efficaces sur fruits, nous avons préféré prioriser les groupes 3 et 7. Le Scala est actuellement le seul produit du groupe qui n’est pas imposé en mélange, mais en moins efficace que les autres produits. La dose maximale de Scala n’atteint pas le seuil de l’efficacité équivalente.

Choix du groupe 11: Dans les vergers où la résistance n’est pas installée, ce groupe est efficace. Cependant, Flint est le seul produit qui n’est pas imposé en mélange. Comme sa dose homologuée est similaire à la dose “équivalente”, cette option est possible quoique chère. Comme Merivon et Pristine contiennent un groupe 7, il est probablement plus sage de les éviter pour préserver vos options de traitements.

(Ce billet a été édité brièvement en 2024 pour corriger le lien et quelques erreurs suite à la mise à jour du calcul d’efficacité équivalente)

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