Fiche 37
Paul Émile Yelle
La production de pommes de qualité est incontournable pour assurer la rentabilité de son verger. Les pommes de belle apparence, au bon goût et avec une bonne fermeté attirent le consommateur et par le fait même les acheteurs. Non seulement un meilleur prix est assigné aux pommes de qualité, mais cela est devenu une nécessité pour être en mesure de les vendre. Même les cueilleurs sont plus faciles à trouver si les pommes ont atteint un bon calibre. Plusieurs facteurs entrent en jeu pour réussir à produire des pommes de qualité, incluant la formation et l’entretien des pommiers, une charge de fruits adéquate, sans parler de la prévention des dégâts causés par les maladies et les ravageurs. Toutefois il faut commencer par la base, soit le sol et comment, en appliquant une fertilisation adéquate, tout l’arbre en bénéficiera.
Les analyses de sol en surface (0-20 cm) et en profondeur (20-40 cm) des parcelles du verger sont des outils indispensables pour bien orienter les pratiques de fertilisation. Les analyses foliaires et les observations en verger permettent de valider et d’ajuster ces pratiques en plus d’orienter la fertilisation foliaire.
La fertilisation du verger n’est pas une simple pratique répétitive applicable annuellement ou aux deux ans pour s’assurer que tout se développe correctement. Son utilisation doit être justifiée et déterminée par différents repères et son but est d’assurer un apport adéquat au pommier pour un bon développement des jeunes arbres, le maintien de leur santé ainsi que des récoltes optimales en termes de quantité et de qualité.
Certains aspects reliés au sol ont déjà été discutés dans la fiche 35 et ont une influence directe sur la fertilisation. Par exemple, la texture du sol et son contenu en matière organique. Les aspects reliés directement à la nutrition minérale du pommier sont abordés dans cette fiche. D’abord les rôles que sont appelés à jouer les principaux éléments dans la croissance des arbres et la production des fruits sont détaillés.
Azote (N)
L’azote est une composante essentielle des enzymes et des protéines, les blocs de constructions reliés à la croissance. Cet élément, comme le magnésium, se retrouve au centre même de la chlorophylle. En termes pratiques, l’azote favorise le développement du feuillage et du bois. Notamment, il est essentiel au bon développement des jeunes arbres, et à leur atteinte rapide du gabarit souhaité. Le tout pour obtenir de bons rendements de façon précoce et rentabiliser les parcelles.
Un manque d’azote peut mener à un feuillage vert pâle, particulièrement dans le cas des feuilles plus vieilles, puisque l’azote est mobile et se déplace vers les points de croissance. Une croissance annuelle limitée est aussi observable lorsqu’il y a carence en azote. Les fruits demeurent petits et sont plus colorés. À l’opposé, un excès peut mener à un feuillage très dense et foncé ainsi que de gros fruits peu colorés qui se conservent mal. De surcroît, des apports excessifs favorisent trop la croissance végétative au détriment de la production de fruits.
Les apports d’azote doivent être effectués tôt en saison pour favoriser la croissance en mai et juin. Les apports trop tardifs encouragent une croissance tardive, nuisant à un bon aoûtement. Le moment exact de l’application sera déterminé en fonction de la source d’azote employée, puisque les différentes formes utilisées requièrent des transformations chimiques et microbiennes dans le sol afin d’être assimilables plus ou moins rapidement par les racines :
- L’urée (46-0-0) est plus lente à agir et peu recommandée pour utilisation au sol en pomiculture, sauf à l’automne pour la réduction de l’inoculum de tavelure (voir la fiche 101). Elle est toutefois bien assimilée au niveau foliaire et son usage en pulvérisation nutritive est recommandé en début de saison pour stimuler une vigueur hâtive et une meilleure nouaison.
- La forme ammoniacale nécessite moins de transformations, mais doit être appliquée tôt en saison (au débourrement ou peu avant) pour être assimilée au bon moment par les racines. Cette forme se retrouve dans le phosphate mono-ammoniacal (11-52-0) et bi-ammoniacal (18-46-0) ou le nitrate d’ammonium calcique (27-0-0). Ce dernier est une source qui comporte aussi du nitrate, une forme d’azote directement assimilable par les racines et, par conséquent, devrait être appliqué plus tardivement (vers le stade du bouton rose).
- Les engrais qui ne contiennent que du nitrate, comme le nitrate de calcium (15,5-0-0) peuvent être appliqués jusqu’au stade calice.
Le dosage de l’azote mérite une attention particulière. En plus des résultats d’analyse foliaire et du pourcentage de matière organique indiqué par l’analyse de sol, d’autres critères doivent être considérés, incluant le cultivar, l’état général de l’arbre, son âge, la pousse annuelle, la productivité, la grosseur et la coloration du fruit et sa conservation.
Phosphore (P)
Le phosphore est essentiel au fonctionnement du pommier par son rôle dans le transport des hydrates de carbone (énergie) produits par la photosynthèse. Il est associé au bon développement racinaire, à la formation des pépins, à la fructification et à la coloration des fruits. La quantité de phosphore prélevée directement par le pommier est faible comparativement au potassium et à l’azote (voir le tableau à la fin de cette fiche). Cet élément est peu mobile dans le sol. Une fois les pommiers implantés, les applications en surface sont peu efficaces car elles pénètrent lentement dans le sol et ne rejoignent que partiellement les racines situées dans les premiers centimètres du sol.
De plus, une fertilisation abusive en phosphore présente des risques environnementaux, notamment une croissance excessive d’algues et l’eutrophisation des plans d’eau. C’est pourquoi le phosphore est visé au premier plan dans la réglementation agroenvironnementale. Comme cet élément est peu mobile dans le sol, la pollution des eaux peut être engendrée par l’érosion de sol fertile ou le ruissellement à la suite de pluies importantes. Le couvert végétal et le fait que la pomme ne soit pas une culture sarclée réduisent ces risques pour cette production. Toutefois, certaines situations de déséquilibre anionique peuvent rendre le phosphore lessivable dans le sol et c’est pourquoi il faut tenir compte de l’indice de saturation en phosphore (ISP), qui est exprimé par un rapport entre le phosphore et l’aluminium ainsi que des valeurs critiques en fonction des textures de sol. Pour plus d’informations, se référer à la page 177 du Guide de référence en fertilisation.
Il est aussi important de noter que des taux élevés d’application de phosphate peuvent augmenter les carences en zinc et en cuivre.
Il faut donc incorporer le phosphore au sol, là où se développera la zone racinaire et ce avant la plantation. L’incorporation de taux appropriés de phosphate, représentant parfois un apport important, durant la préparation du sol en pré-plantation devrait donc fournir le phosphore suffisant pour la durée de vie du verger, si le pH du sol est maintenu entre 6,0 à 6,5 dans toute la zone racinaire. Le chaulage des sols acides pourra donc être recommandé pour améliorer la disponibilité du phosphore. Pour de plus amples informations à ce sujet, se référer à la fiche 39.
Des mycorhizes ajoutées avant ou au moment de la plantation peuvent aussi favoriser une meilleure absorption du phosphore par les racines. Pour plus d’informations à ce sujet, se référer à la section « Les mycorhizes » au chapitre « La préparation du terrain » du guide L’implantation d’un verger de pommiers.
L’apport de phosphate pour l’entretien des parcelles déjà en place se limite quant à lui aux cas où les analyses du sol ou de feuillage révèlent des niveaux trop faibles. Pour maximiser une absorption racinaire éventuelle, les applications se font en bandes vis-à-vis la limite extérieure de la ramure, là où se retrouve la zone plus importante de jeunes racines.
Pour terminer, les applications foliaires de cet élément ne sont pas recommandées. Même sous ses formes les plus sophistiquées, il n’y a pas de résultats de recherches scientifiques qui démontrent une absorption foliaire appréciable de cet élément.
Potassium (K)
Le potassium est un constituant important des cellules végétales et est impliqué dans la synthèse des enzymes et le métabolisme des hydrates de carbone. Par son importance pour l’ouverture des stomates, il influence l’assimilation de l’eau par les racines et joue un rôle dans la respiration et la photosynthèse. Le potassium, comme l’azote, aide les fruits à atteindre un bon calibre. En plus, il contribue à l’atteinte d’une belle coloration des fruits.
La carence en potassium s’observe d’abord sur les vieilles feuilles. Elle se caractérise par une nécrose marginale de la feuille et soit un jaunissement ou un brunissement de son pourtour. Une ligne pourpre démarque la limite entre les tissus morts et les tissus verts et normaux du reste de la feuille. Les arbres qui sont faibles ou déficients en potassium sont plus vulnérables aux dommages par le froid hivernal, et leurs bourgeons et fleurs sont plus sensibles aux gels printaniers.
Même s’il ne s’agit pas d’un élément fortement impliqué dans les cycles physiologiques du pommier, des quantités importantes de potassium sont prélevées par les pommes à la récolte. Une bonne récolte de 40 t/ha représente une exportation de 60 kg/ha de K2O (voir le tableau à la fin de cette fiche). Pour remédier à ce problème, il faut faire des applications d’entretien de façon régulière. De cette façon, les exportations sont compensées et le niveau de potassium dans le sol est maintenu à un niveau adéquat. Malgré le fait que le potassium soit plus mobile dans le sol que le phosphore, il est quand même souhaitable de l’appliquer en bandes vis-à-vis la zone de concentration racinaire. Les apports importants de potassium doivent habituellement s’accompagner d’une certaine quantité de magnésium pour ne pas créer un déséquilibre entre ces deux éléments (consultez le paragraphe suivant pour la recommandation). Le potassium est très peu absorbé par le feuillage et n’est pas appliqué en pulvérisation, même pour corriger des carences.
Magnésium (Mg)
Le magnésium est un constituant clé de la chlorophylle qui capte l’énergie solaire et donne la coloration verte des feuilles saines. Il est aussi impliqué dans l’activité enzymatique. La carence en magnésium entraîne une chlorose interveinale caractérisée par la perte de chlorophylle, le brunissement et la désagrégation des tissus entre les nervures. C’est une des carences le plus communément observées en verger. Les symptômes commencent à apparaître généralement à la fin de juillet ou au début d’août. Comme cet élément est mobile dans la plante, ce sont les premières feuilles de la pousse de l’année qui sont d’abord affectées. Celles-ci se dégarnissent plus ou moins selon l’intensité de la carence. Dans les cas graves, les fruits restent petits et tombent prématurément.
Les corrections possibles sont variées et se font à la lumière des résultats d’analyses ou des symptômes observés :
- Lors de la préparation des sols : un sol à pH acide sera amendé en magnésium par l’incorporation de chaux dolomitique (au moins 20 % de carbonate de magnésium) ou magnésienne (au moins 5 % de carbonate de magnésium) dans le sol.
- En fertilisation d’entretien : utiliser un sulfate double (magnésium et potassium), aussi connu sous le nom de Sulpomag, lorsqu’il y a des apports de potassium à faire. En effet, à chaque application de 100 kg de potasse (K2O) avec ce produit, 50 kg de magnésium sont ajoutés.
Le magnésium, contrairement au phosphore et au potassium, est bien absorbé par le feuillage et les pulvérisations nutritives sont une pratique d’entretien régulier recommandée. C’est aussi la façon idéale de corriger rapidement les carences.
Calcium (Ca)
Le calcium est essentiel à la division cellulaire. C’est aussi un constituant important des parois cellulaires sous forme de pectate de calcium, contribuant au maintien de la structure des tissus végétaux et aidant à prévenir leur affaissement en entreposage. Étant peu mobile dans la plante, cet élément tend à manquer dans les tissus les plus jeunes.
Absorption du calcium par les racines du pommier.
Le calcium est assimilable sous la forme de Ca++ dans la plante. Son seul point d’entrée est l’extrémité des racines et il se déplace dans la plante grâce au phénomène de la transpiration semblable à une pompe à eau. Les pousses vigoureuses, tirant plus d’eau que les pommes, sont donc en forte compétition avec celles-ci. Si les niveaux de calcium dans la pomme sont trop faibles, il y aura carence liée à l’apparition de symptômes de point amer ou de brunissement de sénescence pouvant s’aggraver en entrepôt.
Point amer sur Honeycrisp. Voir aussi la photo de la « tache amère » à la fiche 119.
À des niveaux évitant la carence, mais inférieurs à l’idéal, une moins bonne aptitude à l’entreposage peut être observée. Il faut noter toutefois que les résultats de recherches à l’égard du gain de fermeté des fruits apportés par le calcium ne sont pas toujours concluants.
Les corrections de base sont faites au sol afin de s’assurer d’avoir un niveau adéquat. Le chaulage lors de la correction des sols trop acides est la principale méthode utilisée pour atteindre ce but, compte tenu des apports importants de calcium par la chaux. De plus, tel qu’illustré dans la figure ci-haut, les racines du pommier absorbent par le même mécanisme le calcium et d’autres éléments chargés positivement tels le potassium (K) et le magnésium (Mg). Ces éléments peuvent entrer en compétition avec l’absorption du calcium et il faut donc éviter les excès de fertilisation en K et en Mg si les niveaux de ces derniers sont déjà adéquats.
Néanmoins en pratique ce sont les applications foliaires qui permettent de prévenir les carences auxquelles certains cultivars (Honeycrisp, Cortland, Belmac, Primevère) sont particulièrement sensibles. Pour plus d’informations sur les formes de calcium foliaires et leur impact en phytoprotection, consultez le bulletin suivant.
Oligo-éléments
Bore (B). Le bore tient un rôle important dans la physiologie du pommier où il participe à plusieurs processus, dont la multiplication cellulaire, de même que la translocation des sucres et du calcium. Les symptômes de carence au niveau du fruit peuvent inclure les gerçures sur jeunes fruits, le cœur liégeux et le brunissement interne. Sur les pousses, un dépérissement du point de croissance (bourgeon terminal) peut être observé. Le bore est un élément peu mobile dans la plante.
Les corrections au sol sont essentielles, principalement en pré-plantation et particulièrement si le pH est élevé. Toutefois, l’application d’apports foliaires doit compléter cette correction, car même si le sol est bien pourvu en bore, cet élément est mal assimilé lors de conditions sèches, surtout dans les sols légers.
Zinc (Zn). Le zinc est principalement impliqué dans l’activation des enzymes. De plus, il contribue à la résistance des pommiers au froid. Peu mobile dans la plante, il tend à demeurer dans les tissus plus âgés. Les symptômes de carence sont une chlorose interveinale (jaunissement) des jeunes feuilles et des feuilles plus petites, de même qu’une croissance réduite et atrophiée en forme de rosettes. La disponibilité du zinc est affectée négativement par des pH trop alcalins ou par des niveaux de phosphore trop élevés.
Il est rare que le zinc soit incorporé à la formule d’engrais et des applications préventives ou correctives sont principalement appliquées au feuillage. L’analyse foliaire permet d’ajuster le nombre de traitements foliaires sans avoir à attendre la manifestation de carences.
Fer (Fe), cuivre (Cu), manganèse (Mn). Les autres éléments mineurs, tels le fer, le cuivre et le manganèse, sont rarement problématiques et doivent être corrigés par des applications foliaires au besoin seulement.
Besoins nets annuels des pommiers en azote, en phosphate, en potasse, en oxyde de calcium et en magnésie.
Prélèvement (kg/ha) : | N | P2O5 | K2O | CaO | MgO |
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Transport dans les fruits (40 t/ha) | 20,0 | 13,0 | 60,0 | 5,0 | 3,0 |
Immobilisation dans la charpente | 15,5 | 8,5 | 15,0 | 52,0 | 3,5 |
Retour au sol dans le bois de taille | 10,0 | 4,4 | 4,0 | 32,0 | 2,5 |
Retour au sol dans les feuilles | 43,0 | 6,5 | 54,5 | 98,0 | 27,0 |
Prélèvements totaux annuels | 88,5 | 32,4 | 133,5 | 187,0 | 36,0 |
Besoins réels annuels (fruits et charpente) | 35,5 | 21,5 | 75,0 | 57,0 | 6,5 |
Besoins/tonne de fruits (kg/t) | 0,89 | 0,53 | 1,86 | 1,42 | 0,16 |
Repris de L’implantation d’un verger de pommiers, p.11.
Cette fiche est une mise à jour de la fiche originale du Guide de référence en production fruitière intégrée à l’intention des producteurs de pommes du Québec 2015. © Institut de recherche et de développement en agroenvironnement. Reproduction interdite sans autorisation.