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Fiche 83a
Francine Pelletier, Gérald Chouinard et Stéphanie Gervais
Description et comportement
Les punaises pentatomides (Pentatomidae) sont actuellement des ravageurs mineurs en PFI. Aussi appelées punaises à bouclier ou punaises puantes, elles ont un corps relativement volumineux en forme de bouclier un peu à la façon d’une paire d’épaule et une tête étroite. Leurs œufs ont la forme de petits barils et sont pondus en groupe d’environ 10 à 50 œufs. Les larves, de forme ovale, sont plutôt différentes des adultes et leur coloration change également d’un stade à l’autre.
Certaines espèces de pentatomides sont prédatrices et se nourrissent d’acariens, de pucerons, de chenilles, d’autres punaises et même de coléoptères (voir la fiche 97 pour en savoir plus sur ces espèces prédatrices). La plupart des espèces sont toutefois phytophages et peuvent, dans certaines situations, causer des dégâts aux fruits, par exemple lors de périodes de sécheresse ou lorsque les mauvaises herbes prolifèrent sous les pommiers.
La punaise brune (Euschistus servus euschistoides) est la plus répandue dans les vergers au Québec. Elle passe l’hiver au stade adulte, abritée sous les feuilles et la végétation présentes au sol. Les adultes deviennent actifs au printemps et peuvent apparaitre en vergers dès la fin mai. C’est toutefois en fin de saison que les populations les plus abondantes sont observées. Les œufs sont pondus à partir du début juin. Les larves sont présentes environ de la fin juin à la mi-août avant d’atteindre le stade adulte à partir de la fin juillet. Les larves et les adultes peuvent causer des dommages en piquant la pomme pour s’en nourrir. L’apparence et l’intensité des dommages sera toutefois influencée par le cultivar et le moment de la saison où le dommage survient.
Les deux autres principales espèces présentes en vergers sont la punaise verte (Chinavia hilaris) et la punaise à trois taches (Euschistus tristigmus luridus). Leur biologie et le type de dommage qu’elles peuvent causer aux fruits sont semblables à ceux de la punaise brune. Bien que cette dernière demeure généralement prédominante, la punaise verte peut aussi certaines années être observée en grand nombre dans certains sites, principalement à la fin août et en septembre. La présence de la punaise à trois taches est quant à elle associée à la proximité de boisés.
D’autres espèces, notamment du genre Brochymena spp. (par exemple la punaise à quatre bosses B. quadripustulata) peuvent aussi être observées à l’occasion en vergers. Elles sont connues pour leurs habitudes à la fois phytophages et prédatrices et occasionnent rarement des dommages aux pommes. Elles peuvent toutefois être facilement confondues avec la punaise marbrée (Halyomorpha halys), une espèce exotique hautement nuisible et actuellement sous surveillance. Les premières captures de punaise marbrée au Québec ont été rapportées dans un verger de la Montérégie Ouest en 2016 et son établissement en milieu urbain a été confirmé dans la ville de Montréal en 2018. Depuis, à chaque année, quelques spécimens ont été capturés en milieu agricole dans différents sites en Montérégie et dans les Laurentides, incluant en verger. L’espèce élargi donc progressivement sa distribution mais aucun dommage n’a encore été rapporté dans les sites où elle a été détectée.
Dommages
Les piqures occasionnelles sur les pommes par les pentatomides peuvent provoquer à la surface du fruit une décoloration plus ou moins apparente (point ou plages décolorée), parfois accompagnée d’une dépression plus ou moins étendue (fossette ou plage). La décoloration occasionnée par la piqure est généralement de couleur verdâtre à la fois sur les cultivars rouges et les cultivars jaunes/verts mais prend occasionnellement une apparence brune ou noire sur certains fruits.
Sous la surface du fruit, un dommage interne est généralement visible allant d’un mince tube d’alimentation à une zone liégeuse de forme et d’aspect varié pouvant atteindre jusqu’à 0,5 à 1,0 cm de profondeur. En coupant transversalement au centre du dommage, sa forme permet souvent de déceler (mais pas toujours) la trace d’insertion du stylet et de le distinguer d’un dommage physique (meurtrissure ou grêle) ou d’un désordre physiologique (ex. : point amer).
Dépendamment de la sévérité et de l’emplacement du dommage, une portion seulement des fruits piqués par les pentatomides seront porteurs d’un dommage qui déclasse la pomme. Les dommages qui surviennent en août sont ceux qui évoluent le plus souvent vers un dommage économique au moment de la récolte. Ceux qui surviennent plus tôt dans la saison se présentent généralement à la fin de la saison sous forme de légères ponctuations qui ne déclassent pas le fruit.
Par ailleurs, un délai d’environ 7 à 10 jours peut survenir entre le moment où le fruit est piqué et le moment où le dommage est visible. L’intensité et la rapidité de l’expression du dommage peut également varier selon le cultivar, certains (ex. : Gingergold, Honeycrisp, Ambrosia, Empire, Cortland et Gala) étant connus pour être plus susceptibles. Les dégâts sont souvent plus nombreux en bordure du verger ainsi que sur les branches basses et là où des mauvaises herbes poussent près des fruits.
Estimation du risque
Étant donné que les pentatomides se nourrissent de nombreuses espèces de mauvaises herbes et de plantes cultivées (ex. : maïs, soya, luzerne, tomates, poivrons, pois, haricot), les vergers les plus à risque sont souvent ceux où plusieurs mauvaises herbes sont présentes sous les pommiers ainsi que ceux entourés de boisés ou de champs où l’on retrouve les cultures appréciées par ces espèces.
Des pièges appâtés à l’aide d’attractifs qui attirent les adultes et les larves de pentatomides peuvent être utilisés pour détecter la présence de ces espèces. Toutefois, leur efficacité pour refléter l’abondance des populations et prédire les dommages reste à démontrer.
Le piège pyramidal est celui le plus couramment utilisé pour le dépistage des punaises pentatomides. Il capture davantage d’individus qu’un piège suspendu dans la canopée car il exploite le comportement des punaises qui ont tendance à se déplacer vers le haut. Pour capturer l’ensemble des espèces d’importance présentes ou sous surveillance, il est toutefois important qu’il soit muni d’un attractif et que cet attractif contienne les phéromones agrégatives des espèces ciblées. Dépendamment du fabricant, certains attractifs disponibles commercialement contiennent l’ensemble de ces composés dans un même diffuseur alors que d’autres sont contenus dans des diffuseurs distincts et vendus séparément. Il est alors essentiel de les combiner et de changer chacun d’eux aux fréquences respectives recommandées par le fournisseur.
Stratégie d’intervention
Aucun insecticide n’est actuellement homologué au Canada contre les punaises pentatomides dans la pomme.
Une bonne gestion des mauvaises herbes à feuilles larges sur le rang (spécialement les légumineuses) évitera les dégâts sur fruits dans la majorité des cas.
Parmi les méthodes alternatives à la lutte chimique, l’utilisation de filet anti-insecte réduira considérablement les dommages causés par les pentatomides sur les cultivars susceptibles et à haute valeur commerciale. L’efficacité de cette méthode pour protéger les fruits contre la punaise marbrée a été démontrée en Italie et en France. Dans le cas des filets mono-rangs, une fermeture hermétique du filet au niveau du tronc des pommier est toutefois requise pour une plus grande efficacité.
Compte tenu du peu d’options disponibles actuellement, le piégeage massif est une autre approche pouvant être envisagée. Son efficacité pour diminuer les dommages demeure toutefois à valider et à optimiser compte tenu du coût élevé des attractifs.
Pour des informations additionnelles sur l’importance relative des différentes espèces de pentatomides ayant été répertoriées au Québec, la façon de les reconnaitre ainsi que sur la lutte par piégeage massif, consultez la fiche technique Punaises pentatomides en verger : diversité, abondance saisonnière et piégeage massif
Pour des informations et photographies additionnelles illustrant la variabilité existant au niveau de l’apparence des dégâts causés par les pentatomides ainsi que les critères pouvant aider à les distinguer des dommages d’autres causes, consultez la fiche technique Apparence des dommages causés par les punaises pentatomides à différents moments de la saison sur différents cultivars de pommes
Fiche 110b
Vincent Philion
La moucheture (en anglais, « flyspeck ») et la tache de suie (en anglais, « sooty blotch ») sont causées par plusieurs espèces de champignons qui laissent à la surface des pommes, des poires et de nombreux autres fruits des taches superficielles affectant surtout leur apparence1 et donc leur valeur économique. Dans l’est des États-Unis, des pertes pouvant atteindre 90 % sont rapportées2. En entrepôt, la maladie accélère également la perte en eau1,3, ce qui cause des pertes additionnelles en volume. Les deux maladies sont considérées ici conjointement sous le nom « complexe suie-moucheture », en lien avec l’acronyme anglais « SBFS » (sooty blotch, flyspeck). Dans certaines régions, on parle également de « sooty mold4,5 » qui est la même chose.
La suie-moucheture est présente mondialement et est rapportée dans la littérature de différents pays sur poires et sur pommes depuis au moins 18326, mais aussi sur d’autres fruits1. Elle cause des pertes économiques dans plusieurs régions des États-Unis, du Canada, en Europe2,7, soit dans toutes les régions pomicoles du monde où on trouve des conditions humides pendant le développement des fruits en été. Dans l’Est des États-Unis, jusqu’à la moitié des traitements fongicides (4 à 8 applications) sont dirigées contre cette maladie8. Au Québec, la SBFS reste d’importance secondaire, mais cette maladie est de plus en plus fréquente dans les vergers.
Partout où la maladie est présente, le scénario est le même : les spores produites sur les plantes porteuses sont éclaboussées sur les fruits pendant les pluies et les champignons colonisent superficiellement la couche cireuse des pommes. Les infections sont possibles pendant toute la période où les fruits sont présents dans l’arbre. Dans les vergers où la suie-moucheture apparait, les symptômes ont tendance à s’accroitre au cours des années7,9,10 à moins que des actions soient prises pour casser le cycle de la maladie.
L’apparition des symptômes est tributaire de la présence des hôtes qui maintiennent un réservoir pour les contaminations, de conditions météorologiques humides durant l’été qui permettent le développement de la maladie et des interventions pour la contrer.
Étiologie (cause)
Historiquement, la moucheture (Schizothyrium pomi ou sa forme imparfaite Zygophiala jamaicensis) et la suie (Gloeodes pomigena) étaient chacune associées à un champignon, même si les premières études sur ces maladies relataient déjà la possibilité que les symptômes étaient l’expression de plusieurs champignons responsables d’une seule et même maladie6. Des travaux entrepris au cours des vingt-cinq dernières années11 ont confirmé cette hypothèse et démontré que le nombre d’espèces impliquées dans le SBFS est souvent très élevé. En fait, cette maladie est maintenant considérée comme la plus compliquée du point de vue de la diversité des organismes responsables12. Selon les localités, le complexe suie-moucheture est associé à un assortiment parmi un total de plus de 100 espèces12,13 de champignons très diversifiés1,14, dont plusieurs ont été reclassées au cours des années12. Un bon nombre d’espèces sont dans l’ordre des Capnodiales (classe Dothideomycetes)1. Les Capnodiales sont aussi connus pour leur implication dans la fumagine, qui pousse sur le miellat des insectes7. Au moins 30 des espèces sont présentes aux USA. Sept espèces du genre Zygophiala et Schizothyrium pomi sont à l’origine des mouchetures « classiques »15, alors que le spectre des espèces responsables des variantes de la suie est plus vaste. Les genres les plus fréquents des suies étant Peltaster sp. et Geastrumia dans le Nord-Est des USA16. Il est très difficile d’extrapoler d’une région à l’autre puisque les espèces présentes varient sur d’assez courtes distances17 et sont très adaptées au climat local. De plus, les espèces identifiées dans chaque région varient selon les vergers. Par exemple, on peut trouver de 2 à 15 espèces différentes par verger14 qui varient selon les stratégies fongicides17,12. Une plus grande diversité d’espèces et une plus grande sévérité de la maladie sont présentes dans les vergers non traités aux fongicides1. Cependant, la sévérité de la maladie n’est pas toujours un bon indice de la diversité des champignons présents13. Le nombre d’espèces trouvés est en lien le nombre d’heures de mouillure pendant la saison13.
Symptômes de la maladie
Dans la littérature classique6 on réfère à deux types de symptômes :
La suie tire son nom de l’apparence des symptômes, soit une tache souvent fuligineuse (sombre) de couleur brun noirâtre, sans contour défini. Cette tache est une couche enchevêtrée et dense de ramifications appelé mycélium qui forme un thalle foncé aux pourtours indéfinis. Dans ce thalle, différents types de fructifications peuvent apparaître selon l’espèce. La suie se décline en au moins 3 types selon les espèces impliquées : ramose (ramifiée, ex. : Geastrumia sp.), ponctuée (ex. : Peltaster sp.), ou fuligineux (ex. : Leptodontium sp.)2.
La moucheture a l’apparence d’excréments de mouche. Les taches sont composées d’une multitude de petits points noirs groupés, sans qu’il y ait de trace de lésion sur l’épiderme du fruit. Les bordures des points noirs (thyriothécies) sont très définies et forment les petites taches circulaires caractéristiques. Les taches sont néanmoins reliées entre elles par un réseau mycélien invisible à l’œil nu18.
Entre les deux grands types de symptômes, plusieurs variantes existent18 et d’autres classifications ont été proposées1. Selon l’endroit, les symptômes de SBFS forment un continuum impossible à classer et la distinction suie vs moucheture n’est plus faite1,14. L’identification des espèces impliquées doit donc nécessairement reposer sur des critères génétiques et non sur l’apparence des symptômes.
Les symptômes de la suie-moucheture se développent dans des conditions similaires pour la plupart des espèces impliquées aux USA et une gamme variée de symptômes apparait souvent simultanément à la surface des fruits à l’approche de la récolte.
Épidémiologie
Chaque espèce impliquée dans le complexe SBFS a des particularités propres qui rendent complexe une étude détaillée. Ainsi, la température optimale de croissance, la sporulation, la sensibilité aux fongicides et d’autres traits sont variables d’une espèce à l’autre. Cependant, certaines propriétés sont assez communes pour brosser un portrait global du fonctionnement de la maladie.
Hiver
Les champignons du SBFS passent l’hiver sur de nombreux hôtes réservoirs comme les ronces (framboises, mûres), plusieurs espèces forestières18 dont le cornouiller (cornus), l’aubépine, mais aussi le chêne, l’érable, le saule et peut-être même certains crucifères comme la moutarde noire6 (Brassica nigra) et des plantes ornementales comme l’oeillet19 (Dianthus caryophyllus). En fait, la gamme d’hôtes est probablement très vaste2, même si elle est assez spécifique aux espèces présentes12. Les plantes qui arborent ces champignons peuvent être présentes dans les forêts environnantes ou dans les vergers. La moucheture et la suie peuvent également passer l’hiver sur les pommes laissées au sol2, sur les momies dans les arbres1 et sur l’écorce des pommiers2.
Arrivée des spores
Le cycle d’une bonne part des mouchetures est mieux connu que celui des suies. Un peu comme pour la tavelure, les thyriothécies produites par la moucheture libèrent au printemps des ascospores qui causent les premières infections. Les conidies prennent la relève pour toutes les infections subséquentes20. La suie pour sa part toujours causée par des conidies qui sont éclaboussées à partir des plantes hôtes. L’arrivée des premières spores a lieu environ au stade de la floraison du pommier et peut continuer en été pour la moucheture21 et jusqu’en septembre dans le cas de la suie18. À l’exception des vergers très atteints, les premières spores (inoculum primaire) arrivent de l’extérieur du verger et ne sont pas très nombreuses. Ces spores atterrissent à la fois sur les pommiers et sur les hôtes environnants. Très souvent les traitements dirigés contre les ascospores de la tavelure empêchent l’infection primaire de suie-moucheture sur pommiers. Sur les plantes non protégées environnantes, les spores ont besoin d’une longue période d’humectation pour compléter leur cycle d’infection et pour produire de nombreuses spores (conidies) qui seront ensuite responsables de la plupart des infections sur fruits en verger. Le vent et la pluie libèrent les spores qui sont ensuite éclaboussées sur les pommes.
Infection
Les spores qui atterrissent sur les pommes ont probablement besoin d’eau libre pour germer ou pour croitre13, mais ont certainement besoin de conditions très humides pour s’implanter. La germination et la croissance sont aussi favorisées par une température élevée. La progression de la maladie est brutalement interrompue par les périodes sèches. Aucune croissance n’a lieu quand l’humidité est inférieure à 90 % pour la suie22 et 96 % pour la moucheture20. La suie serait donc moins sensible à des périodes plus sèches que la moucheture20,22.
Pour la température, la croissance est possible dans une gamme assez large et variable selon les champignons impliqués. L’optimum pour la moucheture serait vers 20 °C, avec un minimum à 12 °C et un maximum vers 30 °C. Pour la suie, l’optimum de Peltaster sp. serait autour de 12-24 °C avec un minimum à 8 °C et un maximum à 28 °C22 alors que pour Leptodontium sp., l’optimum peut atteindre 32 °C selon l’humidité, avec un maximum à 36 °C22. Certaines espèces présentes dans le Nord-Est de l’Amérique (Dissoconium sp.) croissent bien au froid jusqu’à 10 °C23. Des périodes d’humidité plus longues sont requises pour la germination à mesure que la température s’éloigne de l’optimum20.
En dehors de la plage d’humidité et de température, la croissance s’arrête mais les champignons du SBFS peuvent néanmoins survivre de longues périodes aux périodes sèches16. La croissance reprend dès que les conditions à la surface des fruits sont favorables. Les nouvelles infections peuvent avoir lieu tout au long de l’été18,24,25, mais la majorité des contaminations ont lieu dans la première moitié de la période de développement du fruit26, même si l’apparition des symptômes a lieu beaucoup plus tard.
Mode de vie
Les champignons de la suie-moucheture sont donc considérés des « épiphytes », soit des organismes qui vivent à la surface des plantes. Contrairement à d’autres maladies fongiques, pratiquement aucune pénétration de la cuticule n’a lieu6. Certaines espèces traversent éventuellement la cuticule18,27, mais ne vont pas plus loin. On parle alors de champignons « ectophytes », qui restent néanmoins très superficiels et qui n’éveillent peut-être même pas les mécanismes de défense de la plante12. Comme la plante n’est jamais « atteinte », certains auteurs hésitent même à parler d’une « maladie »7. Comme ils restent à la surface, les suies et les mouchetures ne sont pas protégés par la plante et sont dotés de mécanismes particuliers pour survivre aux températures élevées, aux conditions sèches, aux rayons UV et à la compétition avec d’autres organismes pendant la saison. Ils sont donc très résilients.
Dans les premières phases de développement des fruits, la cuticule n’est pas un milieu très riche en nutriments pour les champignons. Plus tard en saison, les fruits suintent les sucres et les acides organiques utilisés pour leur croissance28. Une partie de ce suintement a lieu en lien avec les microfissures présentes à la surface des fruits29. Toutes les espèces profitent des exsudats libérés par la pomme7,30, ou des exsudats parfois éclaboussés des feuilles environnantes. Les champignons responsables de la moucheture19 et certaines suies7 peuvent aussi se nourrir de la cire des pommes. Malgré les ressources limitées, les spores peuvent s’installer sur les fruits dès la nouaison, mais il est possible que les infections avant la fin de la division cellulaire (stage-T, BBCH74) soient moins nombreuses, quoique ce stade minimal avant l’infection ne fait pas l’unanimité7.
Apparition des symptômes
Entre l’arrivée des spores et l’apparition des symptômes, les champignons colonisent discrètement la surface du fruit et rien n’est visible à l’œil nu. L’apparition des symptômes est liée à une maturation des colonies qui sont d’abord transparentes et qui noircissent. C’est la production de mélanine, un pigment foncé, qui permet de voir les colonies. La mélanine aide aux colonies à mieux tolérer l’environnement hostile à la surface des fruits. Comme la production de mélanine est plus prononcée en présence de sucres, elle augmente à mesure que la saison progresse. Le noircissement parfois soudain à l’approche de la récolte est donc en partie liée à la production des exsudats sucrés à la surface des fruits qui accélèrent (pour certaines espèces23) la « maturation » des colonies de SBFS16 déjà en place.
Les symptômes de SBFS apparaissent normalement entre 3 semaines ou un mois après l’infection, mais peuvent être visibles après seulement 8 jours quand les conditions sont optimales (très humides). À l’inverse, l’apparition des symptômes est retardée indéfiniment quand le temps est sec. Quand la croissance cumulée atteint un seuil minimal d’heures de mouillure, les colonies commencent à être visibles. L’apparition des symptômes est graduelle après le seuil minimal d’environ 200 h et certaines colonies implantées ne deviennent visibles que beaucoup plus tard. Il peut s’écouler plusieurs mois après l’arrivée des spores pour cumuler assez d’heures favorables à la croissance et atteindre le moment où toutes les colonies deviennent entièrement visibles. Selon les localités et les conditions météorologiques, les premiers symptômes peuvent apparaitre dès la fin juin31, mais tous les fruits peuvent aussi virer noirs dès la fin juillet. Le plus souvent, la maladie est observée à la récolte suite à des pluies à la fin de l’été6.
Propagation à partir des pommes
La plupart des champignons impliqués dans la suie-moucheture en Iowa sont monocycliques, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de propagation en saison après l’infection de la pomme (ex. : la moucheture classique Schizothyrium). La sporulation et la propagation est possible à partir des plantes hôtes, mais il n’y a pas de sporulation à partir des taches sur les fruits en verger12,13,26. Cependant, certaines espèces responsables de la moucheture2,32 peuvent sporuler (conidies) sur les pommes et la suie commune (Peltaster sp.) produit de grandes quantités de « blastospores » à la surface des fruits qui permettent une propagation (polycylique)26. Comme pour la croissance du champignon, cette production de spores est aussi favorisée par les périodes d’humectation12. Lorsque la suie est présente, la propagation de la maladie est fortement liée aux épisodes de pluie, et moins à la durée d’humectation33. Selon les espèces présentes, la propagation entre fruits est donc possible en saison au gré des périodes de pluie qui permettent le déplacement des spores.
Récolte
Les pluies jusqu’à la récolte peuvent entrainer l’arrivée de spores et provoquer de nouvelles infections. Les symptômes à la suite des infections peuvent être aggravés à chaque période de mouillure des fruits avant ou après récolte. Cependant, comme le temps de mouillure requis pour que les symptômes apparaissent est très long, les infections dans les semaines qui précèdent la cueillette des fruits ne causent pas de problèmes. Si les fruits demeurent secs après la récolte, les symptômes déjà présents ne seront pas aggravés.
Entreposage
À moins que les fruits soient mouillés par trempage avant l’entreposage, la propagation entre fruits est peu probable. Les spores (ex. : suie) à la surface des fruits ne sont pas transportées par les courants aériens. La propagation est cependant possible si les fruits séjournent dans l’eau contaminée par d’autres fruits. Cependant, comme la période d’incubation est très longue, l’apparition de symptômes suite à une contamination post récolte est très peu probable. Par contre les symptômes en lien avec les infections avant la récolte peuvent continuer leur apparition2,13,34 sur les fruits en entrepôt, notamment dans les régions où les espèces tolérantes au froid sont présentes (ex. : Dissoconium sp.). La sortie des symptômes est également possible en atmosphère controllée5 (AC). L’apparition en entrepôt est directement liée à l’humidité de la chambre. Dans les chambres moins humides, les symptômes ne se développent pas (Trapman, comm. pers). L’apparition des symptômes en entrepôt AC est probablement aggravée par l’humidité ambiante plus élevée de ce type de chambre. Quand les symptômes sont déjà visibles, le bris de la cuticule causé par les champignons provoque une perte d’eau et de volume accélérée18 tout au long de l’entreposage, peu importe le type de chambre.
Modèles de prévision
Au moins deux approches de modélisation sont utilisées pour prédire la suie-moucheture et aider à mieux cibler les traitements. Le plus connu est le modèle empirique américain Brown–Sutton–Hartman (BSH) et ses différentes déclinaisons régionales. En production biologique, un modèle européen pour la suie est disponible pour les utilisateurs de RIMpro35. Les deux modèles ne sont pas parfaits et peuvent rater des infections (faux négatifs)36,37, mais sont néanmoins souvent jugés utiles pour économiser des traitements sans trop augmenter le risque. Même si les champignons responsables de la SBFS partagent des traits communs, il est possible que l’assemblage local des espèces présentes réagisse un peu différemment à la température et l’humidité et donc que les modèles développés à l’étranger ne soit pas optimaux localement37.
BSH
Le modèle (et ses déclinaisons) cumule le temps de mouillure qui mène à la première apparition de symptômes, sans égard à la biologie des champignons en cause. Par la suite, les infections sont considérées « en continu » au gré des heures de mouillure jusqu’à la récolte38. La plupart des variations entre les déclinaisons régionales reposent sur des équipements de mesure et des seuils différents. Le point de départ des calculs (biofix) est aussi variable, par exemple après la chute des pétales ou après le lessivage des traitements contre la tavelure. Le premier traitement est retardé sur la base de seuils, mais les traitements suivants sont habituellement faits selon une stratégie « calendrier » à intervalles réguliers jusqu’à la récolte en diminuant la fréquence lors d’été secs, mais sans critère précis39.
Comme les heures d’humectation peuvent être calculées de plusieurs façons (ex. : toutes les heures, ou périodes plus longues seulement) et avec différents instruments40 et que les seuils sont différent selon les modèles et les régions, les résultats sont très variables8 et la « version » du modèle optimale varie selon les régions37.
La première version développée en Caroline du Nord40 suggérait de débuter les traitements avant l’apparition des symptômes qui étaient prédits après 273 h de mouillure (HM) en cumulant les humectations de plus de 4 h enregistrées sur un fil de crin (DeWit) à partir de 10 jours suivant la chute des pétales. Les auteurs considéraient que le seuil était valable pour débuter les traitements dans les vergers très atteints, mais qu’il devrait être adapté selon l’environnement du verger39.
Dans l’état de New York34, la proposition de Rosenberger est de compter toutes les heures d’humectation en débutant plus tôt (chute des pétales) avec un seuil à 270 HM. Cependant, le système Rosenberger considère les fruits protégés par les infections contre la tavelure jusqu’au premier seuil et l’apparition des symptômes est donc prédite après l’infection des pommes et le cumul d’une autre période d’incubation de 270 HM, soit un total de 540 h de mouillure après la chute des pétales. Le premier traitement est recommandé au seuil de 270 h de mouillure après chute des pétales (175 h avec un capteur électronique), et ne pas laisser plus de 270 HM sans couverture fongicide jusqu’à récolte34. Le dernier traitement serait recommandé dans les vergers avec une forte pression si le dernier traitement fongicide est lessivé (50 mm) et que la récolte est prévue un mois plus tard (ou plus)34.
RIMPro
Ce modèle vise à simuler le cycle de la suie commune (Peltaster). La suie a été choisie parce qu’elle est universelle, qu’elle survit mieux aux conditions sèches que la moucheture et qu’elle peut réinfecter à partir des fruits en cours d’été. Contrairement au système BSH, le modèle RIMpro repose sur l’hypothèse que la plupart des infections sur fruits résultent des spores éclaboussées par la pluie et que les infections ne sont donc pas en continu.
À partir du seuil de 20 jours après la pleine floraison, le modèle considère que les fruits deviennent sensibles et simule l’arrivée des spores par éclaboussement par la pluie. Le modèle prévoit un accroissement des sources de spores à mesure que la saison progresse. Un processus d’infection modulée selon la température est calculé tant que la mouillure est présente. Pendant les périodes sèches, une courbe de mortalité des spores non infectées est intégrée au modèle. Pour chaque arrivée de spores et d’une nouvelle infection, les premiers symptômes sont prédits en moyenne après accumulation de 300 heures de mouillure et tous les symptômes sont considérés visibles après 500 heures de mouillure. La stratégie proposée est d’appliquer un traitement (bicarbonate, bouillie soufrée, cuivre) dans les 20 heures suivant le début d’une infection grave selon le graphique. Cette approche réduit le nombre de traitements requis en régie bio (environ 3 par été), en comparaison aux traitements à chaque 100 ou 150 heures de mouillure normalement requis pour les fongicides qui n’ont pas d’effet en post infection.
Avant de se mouiller : Tous les modèles utilisés pour prédire l’apparition des symptômes de suie-moucheture partagent une limite : les stations météos automatiques ne sont pas conçues pour enregistrer les périodes de mouillure sur fruits et la variation observée selon l’équipement et le type de mesure à l’échelle du pommier, du verger et des régions est immense. Par exemple, le modèle BSH développé avec une sonde « deWit »40 manuelle est incompatible avec les stations météos électroniques. En utilisant les mêmes critères mais des appareils différents, la validation de BSH au Massachussetts a révélé un écart important (236 à 586 heures d’humectation de plus de 4 h) avant l’apparition des premiers symptômes (24 juillet au 17 août)41. De même, le système « Skybit » utilisé sans calibration enregistrait plus d’heures de mouillure que les sondes, ce qui engendrait en moyenne plus de traitements que nécessaire36.
La rosée (qui contribue à l’infection de suie-moucheture) est complexe à quantifier et contribue à des périodes d’humectation beaucoup plus variables que la pluie37. Par exemple, le nombre d’heures de mouillure entre la base des arbres et le haut des arbres est en moyenne plusieurs heures plus faible42. Il s’en suit qu’une différence de positionnement de capteur de 50 cm peut faire changer la recommandation de traitement de 7 jours42. La durée de mouillure des fruits est aussi plus longue dans la zone du pédoncule qui forme une cavité que sur les côtés des fruits35.
Comme l’estimation des heures de mouillure n’est pas facile, la version « Gleason-Duttweiler » (Iowa) du modèle BSH recommandait plutôt un seuil de 192 h avec une humidité relative de l’air ≥ 97 %37 pour des périodes de 4 h ou plus. Ce système a depuis été simplifié43 et recommande maintenant de cumuler toutes les heures où l’humidité de l’air est > 90 %, avec un seuil de 385 h pour le premier traitement. Dans RIMpro, le déficit de pression de vapeur (VPD) est utilisé comme critère d’humectation. Le cumul des heures avec un VPD inférieur à 2 serait préférable pour établir un seuil parce que moins sujet aux variations observées avec l’humidité relative ou les sondes (Trapman, comm. pers.).
Dépistage préventif de pommes sentinelles
Comme les modèles ne tiennent pas compte de l’historique de la parcelle, les traitements recommandés par ceux-ci ne sont pas toujours nécessaires (faux positifs). Dans les parcelles sans source de spores (inoculum), les conditions météorologiques favorables à la maladie ne risquent pas de provoquer l’apparition soudaine de symptômes. Cependant, comme les abords des vergers peuvent changer et que des plantes hôtes peuvent s’installer, il est peut-être utile de considérer le dépistage préventif pour éviter les surprises à la récolte. L’échantillonnage aléatoire à intervalle régulier (ex. : chaque deux semaines) à partir de la nouaison d’un lot aléatoire de 50 pommes par bloc est suffisant pour déterminer si des symptômes vont apparaitre plus tard en saison. Il suffit de conserver ces pommes à la température ambiante, mais dans des conditions humides44–46 (ex. : sacs de plastique). Sur les fruits infectés récemment, les symptômes sur les pommes ensachées apparaissent après environ 10-14 jours d’incubation au maximum et sont facilement visibles bien avant ceux de la récolte. Si les traitements sont débutés dès l’apparition des symptômes sur ces pommes « sentinelles » (et donc avant les symptômes en verger), il est possible de se prémunir des nouvelles infections en cours d’été et d’amoindrir les dommages à la récolte.
Gestion de la maladie : prévention
Site, aménagement et assainissement
Le choix du site pour l’implantation d’un verger peut expliquer en partie la sévérité des problèmes observés. La suie-moucheture est aggravée dans les vergers à proximité de forêts où les hôtes alternes sont abondants et dans les sites où le drainage de l’air est inadéquat18,39. Dans les vergers implantés, maintenir le couvert végétal bas (fauchage, herbicide) peut aider à réduire l’humidité dans les vergers et ainsi limiter l’infection des fruits les plus bas47, cette intervention peut aussi aider à limiter la sporulation sur les hôtes réservoirs (ex. : ronces) présentes dans le verger. Cependant, à moins que l’herbe soit haute au point de modifier le climat du verger, une gestion plus intensive de la végétation au sol ne changera pas grand-chose à la sévérité de la maladie4. L’élimination des ronces (framboises, mûres, etc.) autour des vergers ou des fruits momifiés accrochés aux arbres7,12,38,48 sont aussi des solutions partielles pour réduire le problème à la source. Malheureusement, les machines dédiées à l’éclaircissage (ex. : Darwin) ne réussissent pas bien à enlever les momies en hiver7.
Cultivars
La plupart des cultivars sont sensibles à la maladie à des degrés divers et la résistance n’est pas une stratégie porteuse pour réprimer la suie-moucheture49. Les cultivars tardifs sont plus souvent atteints parce que la maladie a plus de temps pour se multiplier49 et les traitements fongicides sont souvent interrompus à l’échelle de la ferme et non en fonction de la date de récolte des cultivars. Les cultivars rousselés (ex. : Russet) ou les surfaces rousselées des autres fruits seraient naturellement résistants7,30. Les cultivars aux couleurs pâles accentuent l’apparence des symptômes49, même si la sensibilité n’est pas associée à la couleur du fruit49. Certaines exceptions à ces règles existent. Par exemple, la Ginger Gold est significativement plus sensible que les autres cultivars qui murissent à pareille date alors que c’est l’inverse pour Pinova49. Ces différences sont probablement dues à la quantité d’exsudats produite par ces fruits. Finalement, les cultivars plus sujets à la formation de fruits momifiés (ex. : Cortland), sont plus souvent infectés puisque les momies sont des sites de survie pour l’inoculum. Les variétés résistantes à la tavelure (Vf) sont souvent très sensibles à la suie-moucheture (ex. : Topaz, Liberty).
Sensibilité à la suie-moucheture de quelques variétés tirées du projet NE-18349 et cultivées au Québec :
Hâtifs :
Sunrise tolérant
Gingergold sensible
Zestar! tolérant
Mi saison :
Gala sensible
HoneyCrisp sensible
McIntosh sensible
Tardives :
Ambrosia très sensible
Fuji très sensible
Golden Delicious très sensible
Pinova sensible
Taille
La densité de plantation n’a pas d’impact sur l’incidence de la maladie47, mais l’effet de la densité des branches sur la gravité de la maladie est reconnu depuis longtemps. On observe régulièrement que la suie est plus fréquente dans les vergers peu ou mal taillés6,39,50,51. Dans les pommiers où la taille permet en général une meilleure circulation de l’air, la maladie est presque toujours moins grave que dans les pommiers non taillés24,52. L’effet de la taille d’été sur le micro climat dans les vergers est important. Dans les vergers taillés, le nombre d’heures pendant lesquelles l’humidité relative est élevée est beaucoup moindre que dans les vergers non taillés53. L’effet sur la maladie est facilement constaté dans les vergers où les traitements d’été sont peu fréquents50,53. Cependant, la taille n’a pas un grand effet sur la moucheture dans les vergers où des traitements fongicides sont appliqués régulièrement durant tout l’été53. Comme la taille est pratiquée dans tous les vergers commerciaux, les tentatives de contrer la maladie seulement par une modification des pratiques d’émondage n’ont donc pas donné de résultats probants. La taille reste cependant une excellente composante d’une stratégie complète de lutte contre le SBFS et facilite l’adoption des stratégies avec traitements réduits (ex. : par l’utilisation des modèles36).
Éclaircissage
Réduire le nombre de bouquets avec plusieurs fruits peut réduire l’incidence du SBFS54 et limiter la possibilité de symptômes dans la zone du pédoncule. Cependant, la maladie peut être amplifiée si la technique d’éclaircissage favorise la formation des momies (ex. : NAA sous de mauvaises conditions).
Engrais
Les excès d’azote sont associés à une augmentation de la suie-moucheture51. De même, les engrais d’été à base de phosphore (Phosyn Hydrophos, Yara) appliqués avant la récolte peuvent aggraver la suie5. À l’inverse, des traitements à répétition de chlorure de calcium en été réduisent substantiellement les problèmes de suie-moucheture1,55,56. Les traitements doivent démarrer tôt et ne sont pas aussi efficaces que les traitements fongicides mais les bénéfices du calcium sont nombreux. Voir la fiche sur la fertilisation.
Toile réfléchissante
Une toile tissée réfléchissante blanche appliquée au sol pour améliorer la couleur des fruits peut réduire de façon importante l’incidence de la suie5.
Filets
La culture de pommes sous filets attenue fortement la présence de suie-moucheture4,29,57,58. Les filets diminuent le nombre de micro fissures (craquelage microscopique) à la surface des fruits, ce qui réduit la fuite de sucres qui nourrissent les champignons.
Ensachage
Différentes expériences d’ensachage de fruits individuels ont été réalisées pour préciser la période critique pour les infections18,24–26. Il pourrait être possible d’appliquer cette technique pour réprimer la maladie à condition que le fruit (poire ou pomme) s’y prête et que le cout de la main d’œuvre ne soit pas prohibitif. Les sacs ont deux effets : ils empêchent les spores d’atteindre les fruits et ils atténuent l’infection des fruits déjà contaminés au moment de la pose26. Comme d’assez courtes périodes d’exposition des fruits (7 heures de mouillure) peuvent augmenter significativement l’infection25, les sacs (ex. : sacs Fuji) doivent être installés tôt et demeurer sur les fruits jusqu’à la récolte. Même si les symptômes sont fortement atténués, la méthode n’est pas toujours entièrement efficace et il arrive parfois que le champignon arrivé avant la pose des sacs1 se développe sur les fruits dans l’eau de condensation.
Irrigation
Les systèmes par aspersion peuvent facilement favoriser la dispersion de la maladie33. Dans les vergers où l’approvisionnement en eau est facile et où le refroidissement par évaporation est une possibilité, les risques accrus de suie-moucheture sont à considérer.
Gestion de la maladie : traitements fongicides
Pulvérisation
La plupart des traitements phytosanitaires, les engrais et les hormones sont appliqués sur les arbres avant que toutes les feuilles de l’année soient en place. Les réglages qui fonctionnent pour une canopée printanière « poreuse » doivent être ajustés en été pour assurer une bonne couverture des fruits, notamment la face cachée des fruits et la zone du pédoncule. La mauvaise qualité de pulvérisation est un facteur reconnu d’aggravation des problèmes de SBFS31. Les traitements à faible volume d’eau peuvent très bien couvrir les fruits et les petites gouttelettes couvrent mieux les fruits que les grosses gouttes. Il n’est pas nécessaire d’augmenter le volume de bouillie pour augmenter la couverture comme le suggère certains auteurs2,50. La clef est de calibrer correctement l’appareil, d’ajuster le débit d’air et la vitesse d’avancement et s’assurer que la bouillie puisse atteindre la cible en taillant les vergers adéquatement. Dans les vergers où le nombre d’applications est optimisé en fonction des risques, une bonne couverture devient encore plus importante parce que les failles de couverture du pulvérisateur ne sont pas compensées par la fréquence des traitements.
Période des traitements
Les premiers traitements fongicides de l’année n’ont pas d’effet contre la suie-moucheture59, mais les traitements dirigés contre les dernières infections de tavelure primaire répriment très bien les premières infections de SBFS60,61. Cependant, lorsque les conditions en été sont favorables au SBFS on observe des pertes parfois importantes dans les vergers où les traitements fongicides sont réduits (ex. : pommiers résistants à la tavelure) et dans les sites avec une forte réduction des traitements fongicide en été. Une stratégie estivale de traitements fongicides dirigée contre le SBFS et préférablement adaptée à la météo est parfois requise dans les sites où la maladie est un problème. Comme les pourritures d’été62 ne sont problématiques au Québec, il est possible de cibler les traitements d’été exclusivement en fonction de la suie-moucheture en utilisant les modèles décrits plus haut. Les traitements en début d’été ont souvent plus d’impact que les traitements proches de la récolte parce que les infections tardives ne sont pas suivies d’assez d’heures d’humectation pour que les symptômes apparaissent.
Fongicides homologués et/ou efficaces
Les problèmes de suie-moucheture et notamment certaines variantes de la suie semblent avoir pris de l’ampleur lors de l’abandon des fongicides minéraux (ex. : cuivre) au profit des fongicides issus de la chimie organique18 (captan, mancozeb) au milieu du 20e siècle. Le même phénomène d’augmentation a été observé lors de l’abandon des Benzimidazoles (ex. : benomyl, BENLATE) qui étaient très efficaces et ensuite lors de l’adoption massive des premiers inhibiteurs de stérols (ex. : NOVA, NUSTAR) qui n’avaient pas d’efficacité contre le SBFS46,47. Finalement, l’ajout de restrictions sur l’utilisation des EBDC (mancozèbe) en été a également contribué à l’essor de cette maladie47 parce que le Captan utilisé comme remplacement était moins efficace.
Malgré tout, les fongicides usuels homologués sur le pommier sont efficaces contre les champignons responsables de la suie et dans une moindre mesure ceux de la moucheture34,38, à condition de bien les utiliser :
Les fongicides peuvent ralentir la suie-moucheture mais peuvent difficilement déloger des colonies en croissance et encore moins effacer des dommages déjà visibles. Idéalement, les traitements devraient donc être faits en lien avec l’arrivée des spores sur les fruits et l’infection, au moment où le champignon est le plus vulnérable. Les traitements « classiques » de type « calendrier » de 3 ou 4 traitements espacés de 3 ou 4 semaines dans les mois d’été ne suffisent pas toujours à maintenir la maladie à des seuils commercialement acceptables47, probablement parce qu’ils sont appliqués sur des colonies invisibles déjà bien accrochées. Dans tous les cas, les traitements fongicides doivent précéder l’apparition des symptômes puisque les fongicides ne sont pas « curatifs ». De plus, aucun traitement n’a d’effet prolongé en post infection34,46. Les traitements sont au mieux « fongistatiques ». C’est-à-dire que les champignons ne sont pas tués mais seulement temporairement arrêtés. Les champignons reprennent leur croissance après lessivage du traitement et l’apparition des symptômes a quand même lieu, parfois après la récolte. Les traitements en place peuvent cependant protéger contre les nouvelles infections.
Fongicides admissibles en production biologique
Bicarbonate de potassium : Lorsque les traitements sont dirigés contre les infections (ex. : avec RIMpro) ou lorsque les traitements sont nombreux (ex. : à chaque 2 semaines63), le bicarbonate de potassium est efficace contre la suie-moucheture. Le bicarbonate n’est pas efficace autrement56. Le bicarbonate formulé ou en mélange avec le soufre est plus efficace que le bicarbonate alimentaire.
Bicarbonate formulé (Milstop) : Le Kaligreen36 appliqué à raison de 2,8 kg/ha actif aux 14 jours selon une stratégie « calendrier », était moins efficace que les traitements conventionnels. Par contre, le Armicarb63 appliqué à 5 kg/ha aux deux semaines s’est avéré très efficace. Cependant, Armicarb peut causer des taches lenticellaires à un niveau inacceptable10.
Bicarbonate + huile : Efficace contre les deux maladies64. Cependant, l’ajout d’huile rend cette option incompatible avec d’autres traitements.
Cuivre (bouillie bordelaise) : Une des premières méthodes de contrôle confirmée6. En Europe, le Kocide (hydroxyde) est régulièrement employé contre le SBFS. Cependant, les doses très réduites en usage contre la tavelure ne seraient pas assez efficaces.
Soufre : Le soufre seul a une efficacité moyenne contre la moucheture64, mais pas contre la suie54,64.
Bouillie soufrée6 : Aussi efficace que le standard commercial à 14 L/ha, mais peut induire une phytotoxicité. À la dose de 7 L/ha, le produit n’est pas phytotoxique et aussi efficace que le standard commercial lorsque les intervalles entre les applications sont réduits. Cependant, des résidus peuvent être visibles sur les fruits à la récolte65. De plus, la bouillie soufrée peut augmenter les problèmes de pourriture noire et n’a pas d’effet contre la pourriture amère38,66.
Peroxyde (Oxidate) : Le « nettoyage » à intervalles réguliers des colonies de suie-moucheture avec du peroxyde est envisageable mais le nombre d’essais publié est limité.
Myco-san : En Europe, cette formulation d’argile et de soufre a une efficacité partielle contre la SBFS10.
D’autres produits, notamment des produits bio (ex.& : Cocana63,65,67, methionine64) ont été testés avec plus ou moins de succès et ne sont pas homologués au Canada.
Fongicides synthétiques classiques
Captan31,68 : Plus efficace contre la suie que la moucheture. Lorsque les intervalles d’application sont espacés de 14 jours ou plus, la dose maximale de l’étiquette peut être nécessaire. Des applications ciblées à dose plus faibles sont préférables. Une application non ciblée de 2 kg/ha de Captan aux 3 semaines jusqu’à la mi-août peut être insuffisante lorsque la saison est pluvieuse avant la récolte34.
Folpan (Très similaire au Captan)
Fluazinam69 (Allegro) : Efficacité variable selon les espèces, mais utile.
Mancozeb, Metiram (EBDC)31 : Plus efficace contre la moucheture que la suie. Aux doses usuelles, les EBDC sont plus efficaces que le Captan pour réprimer la suie-moucheture. Cependant, le délai d’application actuellement de 77 jours avant récolte est restrictif pour permettre une gestion efficace de la maladie. Selon la quantité appliquée lors du dernier traitement et des conditions locales, l’activité résiduelle peut maintenir une protection pendant plusieurs semaines31.
Fongicides synthétiques fongistatiques
Tant que les fruits sont couverts par ces produits, l’expression des symptômes de suie-moucheture est retardée. Entre le lessivage des produits et l’apparition des symptômes, il peut s’écouler 270 heures de mouillure selon le moment de l’infection. Si l’infection était déjà prête à apparaître au moment du traitement, les symptômes apparaîtront rapidement après lessivage. En absence de lessivage et à condition que les fruits demeurent secs après récolte, ces traitements peuvent retarder « indéfiniment » la sortie des symptômes. Cet avantage a cependant quelques conséquences : tous les produits fongistatiques sont plus chers, sont à risque de résistance ou ont un effet indésirable en PFI.
Benzimidazoles (groupe 1) : Le thiophanate-methyl (Senator) est très efficace pour ralentir la sortie des symptômes. Ce fongicide a été abandonné pour lutter contre la tavelure à cause de la résistance, mais pourrait être utilisé contre d’autres maladies comme le SBFS. Il n’est pas recommandé en PFI parce que son usage est dévastateur contre les populations de vers de terre et les prédateurs d’acariens70.
Dodine (groupe U12) : Efficace en verger pour plusieurs champignons impliqués24, mais probablement seulement contre la suie. L’utilisation en été pourrait accélérer la résistance de la tavelure.
QoI (groupe 11) : Les strobilurines (ex. : Flint, Sovran) sont très efficaces34,36,61 ex. : Flint 140 g/ha. Une possibilité à considérer si la tavelure est résistante ou que l’usage contre la tavelure n’est pas prévu. Application efficace pour 21 jours ou 50 mm de pluie.
SDHI (groupe 7) : Tous les produits (ex. : Fontelis, Aprovia) sont efficaces contre la suie moucheture, même s’ils ne sont pas nécessairement homologués. Gestion de la résistance : leur usage devrait être réservé pour la tavelure.
Inspire Super (groupe 3) : Contrairement aux autres IBS (ex. : NOVA) , la portion « difénoconazole » de ce mélange est très efficace contre le SBFS60,71,72. La persistence des traitements est d’environ 2 semaines à la dose de 900 mL/ha par application62. Gestion de la résistance : ce produit devrait être réservé à la tavelure.
Autres
Phosphite (phosphonate, ex. : phostrol) : Très efficace en mélange avec le Captan contre le SBFS73, mais pas suffisante quand le produit est utilisé seul. Par ailleurs, les phosphites sont très persistants et s’accumulent dans les arbres pendant des années. Cet aspect pourrait devenir problématique si les résidus fongicides sont mesurés.
Interventions après récolte
Entreposage
Il est possible de gérer le risque d’apparition de la maladie en évaluant les lots de pommes à leur arrivée (voir la section sur les pommes sentinelles) et d’écouler les fruits à risque en les stockant dans des chambres froides plus « sèches » qui empêcheront la sortie des symptômes. Pour limiter les pertes de volume, les fruits avec des symptômes déjà apparents destinés à la transformation ne devraient pas être stockés.
Bassinage au chlore et brossage
L’une des plus anciennes méthode rapportée pour éliminer les symptômes sur les fruits consistait en l’immersion des fruits pendant 6 minutes dans une solution de « Chlorure de chaux » (CaCl2 + Ca(ClO)2) (eau de Javel) et de bicarbonate de sodium6. Plus récemment, une solution d’hypochlorite de sodium ou de calcium a été testé avec succès74. Ces auteurs ont rapporté qu’un bassinage de 5 minutes dans une solution de 940 ppm de chlore suffisait pour complètement éliminer la suie et une bonne partie des mouchetures malgré une forte sévérité de la maladie. Le bassinage n’était pas phytotoxique et n’a pas eu d’effet sur le fini des fruits. Le trempage dans une solution à 500 ppm de chlore suivi d’un brossage avait le même effet. Dans d’autres tests à plus grande échelle75, le bassinage dans une solution à une concentration de 800 ppm de chlore libre (hypochlorite tamponné à un pH de 6,5) pendant 7 minutes suivi de brossage et de rinçage à l’eau pour un total de 30 secondes étaient requis pour obtenir 100 % de fruits de qualité « extra fancy ». Une concentration de 200 à 500 ppm de chlore donnait respectivement de 92 % à 96,5 % de fruits « extra fancy ». Une solution à 500 ppm est équivalente à 0,4 L d’eau de Javel à 12,5 % dans 100 L d’eau. Cette concentration de chlore est élevée par rapport aux usages habituels en post-récolte pour la pomme (100-150 ppm)76, mais néanmoins réaliste. La méthode serait d’ailleurs largement utilisée1. Il est possible qu’une concentration moindre de chlore puisse suffire sur des fruits présentant moins de symptômes. Des variantes comme le mélange d’eau de Javel (300 ppm) et de bicarbonate de sodium (1 %) fonctionnent aussi77. Le bassinage au chlore pourrait être plus ou moins difficile selon les espèces de champignon présentes1,75. Le bassinage au chlore a aussi l’avantage de réduire plusieurs résidus de pesticides à la surface des fruits74,78. Par contre, cette approche n’est pas admissible en production biologique même avec un rinçage intensif79.
Alternatives au chlore
Le brossage des fruits sans trempage6,75 peut réduire partiellement la maladie mais n’est pas assez efficace à moins que le système soit optimisé pour cet usage et que les fruits soient préalablement classés par diamètre pour maximiser l’efficacité des brosses4. De plus, des différences entre cultivars sont possibles. Par exemple, le brossage après trempage était plus efficace avec le cultivar Jonathan et McIntosh qu’avec Golden Delicious75. Le brossage avec des traitements sans chlore comme le peroxyde et le savon75, ainsi que l’application de cire77 ont aussi été testés, mais n’étaient pas aussi efficaces. Les traitements à l’eau chaude communs chez les producteurs bio en Europe80 ou de vinaigre4 en combinaison avec le brossage sont aussi à considérer. Pour toutes les méthodes de nettoyage des fruits après la récolte, il est possible que l’âge des symptômes puissent affecter les résultats. Les colonies les plus vieilles sont vraisemblablement plus fortement incrustées dans la cire et la cuticule des fruits. Des traitements fongicides ciblés en début de saison et un nettoyage des fruits en cas d’infection tardive pourrait être une stratégie à envisager pour éviter les résidus de traitements trop proches de la récolte.
Stratégie combinée (résumé) : Pour minimiser les risques de suie-moucheture sans avoir recours à des traitements réguliers, une stratégie « PFI » débute par l’adoption d’un maximum des pratiques couvertes dans la section « prévention », incluant une mise à jour des techniques de pulvérisation. Les traitements fongicides en été ne devraient être appliqués que dans les vergers où la maladie a déjà été observée. Le suivi de pommes sentinelles et/ou des modèles peuvent ensuite être utilisés pour initier les traitements d’été. La fréquence des traitements nécessaire devrait dépendre à la fois du lessivage des produits, du grossissement des fruits depuis le dernier traitement, mais aussi du risque d’infection. Des traitements liés aux périodes de pluie assez intenses pour éclabousser les spores devraient suffire pour empêcher la propagation de la maladie. Plusieurs fongicides sont efficaces contre la suie et il est possible de choisir une stratégie qui ne mettra pas en péril l’efficacité des produits utilisés pour lutter contre la tavelure. Les premiers traitements (ex. : juin) sont beaucoup plus utiles que les traitements proches de la récolte. Après récolte, évitez les chambres très humides pour les lots à risque. Les pommes sentinelles peuvent aider à gérer les lots. Le brossage et le lavage des pommes avec des symptômes « frais » est à considérer.
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Cette fiche est une mise à jour de la fiche originale du Guide de référence en production fruitière intégrée à l’intention des producteurs de pommes du Québec 2015. © Institut de recherche et de développement en agroenvironnement. Reproduction interdite sans autorisation.
L’éclaircissage des pommiers est une étape importante de la production qui consiste à retirer une certaine quantité de pommes dans le but de maximiser la qualité des fruits et de stabiliser la production année après année. Les pommiers mal éclaircis produisent des pommes de petit calibre, moins colorées et moins goûteuses. Ils ont aussi tendance à produire une année sur deux, ce qui évidement n’est pas souhaitable en production commerciale.
L’éclaircissage chimique des fruits est la méthode la plus utilisée au Québec et dans la majorité des pays producteurs de pommes. Plusieurs produits à base d’hormones végétales sont utilisés à cet effet. Le carbaryl, un insecticide à large spectre, est également couramment utilisé en combinaison avec les produits à base d’hormone. Bien qu’il ait un effet éclaircissant, c’est surtout pour sa propriété d’améliorer l’efficacité des produits à base d’hormones que le carbaryl est utilisé.
Depuis la saison 2017, l’homologation du SEVIN, produit à base de carbaryl a été modifiée et son utilisation est plus contraignante. La dose de produit ne doit pas dépasser 3,22L dans les vergers en haute densité et 2,15L dans les autres types de vergers (soit respectivement, 1,5 kg et 1 kg de matière active par hectare par année) et au maximum 2 applications par année sont permises. Les délais de réentrée ont également été augmentés selon la tâche qui est effectuée et le délai avant récolte est passé à 75 jours. Face à ces modifications, les pomiculteurs doivent s’adapter et trouver de nouvelles stratégies. L’éclaircissage sans carbaryl gagne également de l’intérêt chez les pomiculteurs qui travaillent en production fruitière intégrée à cause de ses effets négatifs sur les insectes bénéfiques et de ses risques pour la santé. Or le succès des traitements d’éclaircissage sans carbaryl est souvent décevant. Un article publié dans la revue Quarterly [1] proposait différentes stratégies. En voici un résumé.
Commencer tôt et utiliser plusieurs méthodes
Une bonne stratégie pour les variétés difficiles à éclaircir est d’utiliser toutes les fenêtres possibles d’éclaircissage.
- On peut commencer dès la taille, en réduisant le nombre de bourgeons à fruit : en sélectionnant les branches fruitières et en frottant son bras sous les branches on peut éliminer des bourgeons qui se trouvent dans cette position.
- On peut ensuite poursuivre durant la floraison avec des traitements d’éclaircissage mécanique (voir la fiche 43 du Guide de PFI) dans les pommiers nains conduits en mur fruitier.
- Certaines substances chimiques ont également pour effet de faire sécher les fleurs et de réduire la nouaison. C’est le cas de la bouillie sulfocalcique, utilisée en pomiculture biologique et de l’ammonium thiosulfate (ATS), un fertilisant foliaire composé d’azote et de soufre. Ces produits ont toutefois un effet limité et plusieurs précautions d’usage.
- Des essais sont également en cours au Québec afin de d’homologuer l’usage du bicarbonate de potassium pour l’éclaircissage floral des pommiers.
- L’Acide Naphtalène Acétique (FRUITONE) peut également être utilisé durant la floraison. Dans un article publié en 2016 dans la revue Quaterly, les spécialistes de Cornell recommandent jusqu’à trois traitements d’ANA pour les variétés difficiles à éclaircir en commençant par un traitement à 10ppm durant la floraison suivi d’un traitement d’ANA et de MAXCEL (benzyladenine) à la chute des pétales et d’un troisième traitement au stade 10-12 mm. Les variétés plus faciles à éclaircir pourraient quant à elle recevoir deux traitements: un premier à la chute de pétales et un second au stade 10-12 mm.
Faire plusieurs traitements répétés plutôt qu’un seul:
Les stratégies qui utilisent plusieurs méthodes dont de petites doses d’éclaircissant chimique sont recommandées car elles permettent d’obtenir de meilleurs calibres de fruits et réduisent les risques de sur éclaircissage. Une bonne stratégie pour les variétés difficiles à éclaircir est d’utiliser toutes les fenêtres possibles d’éclaircissage: à la pleine floraison pour réduire le nombre de fruits noués, à la chute des pétales et ensuite entre le stade 8 et 12mm des pommes selon les conditions météo.
Augmenter la dose : oui mais pas trop!
Lorsqu’ils sont utilisés sans carbaryl, les doses des produits à base d’hormone (FRUITONE et MAXCEL) doivent être augmentées d’environ 50% pour obtenir des résultats semblables. Attention! Des doses trop élevées d’ANA (FRUITONE) peuvent causer un arrêt de croissance et avoir un impact négatif sur la taille finale des fruits. Il est préférable de ne pas dépasser 10ppm (bien que des doses allant jusqu’à 20ppm puissent produire plus d’effet). Il est ainsi préférable d’appliquer 2 traitements à 10ppm plutôt qu’un seul traitement à 20ppm.
Combiner les hormones…
Les produits à base de cytokinine tel que MAXCEL(benzyladenine) et CILIS (benzylaminopurine) sont moins utilisés puisqu’ils sont plus couteux et que leur effet éclaircissant est moins puissant. De plus ils ne conviennent pas à toutes les variétés. Dans une étude réalisée sur l’éclaircissage sans carbaryl par l’équipe de Terence Robinson à l’université Cornell, la combinaison de FRUITONE (7,5ppm) et MAXCEL (75ppm) a donné d’excellents résultats sur 10 des 12 variétés testées. En effet, les variétés Braeburn, Cortland, Empire, Gala Gingergold, Jonagold, Jonamac, Liberty, McIntosh et Sansa ont bien réagi. Par contre ce mélange a stoppé la croissance des fruits des variétés Délicieuse et Fuji. En plus de leur effet écaircissant, les produits à base de cytokinine ont aussi la faculté de stimuler la division cellulaire, particulièrement lorsqu’ils sont utilisés tôt, c’est-à-dire après la chute des pétales – dans les premiers stades de développement des fruits. Cette combinaison est particulièrement recommandée pour les variétés qui ont tendance à faire de petits fruits tel que Gala et Empire.
Utiliser des modèles
Un modèle bioclimatique qui prédit la réponse des pommiers aux traitements d’éclaircissage en fonction du bilan glucidique des arbres a été développé à l’Université Cornell (NY) par Alan Lakso et Terence Robinson. Ce modèle a fait l’objet de plus de 20 ans d’analyse et de suivi. Il tient compte de la météo des 2 jours précédents et des 4 jours qui suivent le traitement et de la possibilité pour les arbres d’accumuler des glucides par la photosynthèse. Depuis 2012, l’agronome Paul-Émile Yelle préparait les bilans glucidiques pour les principales régions pomicoles du Québec. Après un an d’absence, les bilans glucides sont de retour en 2019. Ces derniers vous permettent d’estimer la sensibilité des arbres aux traitements d’éclaircissage après fleur et d’ajuster la dose des produits à base d’hormone en conséquence. Ces bilans seront mis à jours plusieurs fois par semaine et publiés sur agri-réseau ICI. Les développeurs du modèle RIMpro ont également adapté une version qui est disponible en ligne ICI
Faire le suivi de vos traitements
En terminant, il est important de faire le suivi de vos traitements d’éclaircissage et de réagir rapidement si des traitements supplémentaires sont nécessaires. Philipp Schwalier de l’université du Michigan a développé un modèle de prédiction de la nouaison. Les outils sont disponibles en ligne ICI.
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L’éclaircissage est une étape importante de la production de pommes qui consiste à éliminer une partie de la charge potentielle en fruit afin de garantir la qualité (calibre et couleur de fruits, etc.) et la stabilité de la production année après année. Pour plusieurs pomiculteurs, cette tâche est un véritable casse-tête. Ceci n’est pas étonnant quand on sait que plus de 15 facteurs influencent l’efficacité d’un traitement d’éclaircissage dont les principaux sont : le cultivar, les conditions météo (température et luminosité) avant et au moment du traitement, le produit utilisé et la période d’intervention. La plateforme RIMpro utilisée depuis plusieurs années au Québec pour la gestion de la tavelure et plus récemment pour le feu bactérien, propose aussi un modèle pour l’éclaircissage des fleurs et des fruits qui intègre certains de ces facteurs.
Comme pour les ravageurs et les maladies, le modèle d’éclaircissage RIMpro ne peut prévoir l’intensité de l’éclaircissage qui doit être appliquée à une parcelle en particulier. Il permet toutefois d’illustrer à quel moment les pommiers seront plus sensibles à l’éclaircissage chimique.
Comment fonctionne le modèle RIMpro pour l’éclaircissage floral
Le modèle d’éclaircissage floral de RIMpro s’appuie sur le concept de période de pollinisation efficace (Sanzol, J. et M. Herrero, 2000) et d’un modèle de sur la croissance des tubes polliniques développé aux États-Unis (Yoder et al. 2012).
À partir de la date de début de floraison, le modèle simule l’ouverture de nouvelles fleurs tous les jours. Dès que la température du jour atteint 10 ° C, ces fleurs sont considérées comme pollinisées. C’est-à-dire qu’on suppose que les insectes polinisateurs sont présents dans le verger et qu’ils vont transporter le pollen de l’organe mâle d’une fleur (anthère au sommet des étamines) vers l’organe femelle d’une autre fleur (le style au sommet du pistil). Il faut ensuite une période plus ou moins longue, selon la température et les variétés, pour la formation et la croissance d’un tube pollinique qui déposera le grain de pollen dans l’ovaire pour qu’il y ait fécondation (figure 1).
La figure 2 montre un exemple du graphique de RIMpro éclaircissage avec la croissance des tubes polliniques représentée par des lignes descendantes bleues. Le modèle indique un niveau de fécondation médiocre quand 10% du pollen a atteint et fécondé les graines dans l’ovaire. Le seuil passe à bonne fécondation lorsque 50% du pollen a atteint les graines dans l’ovaire et à excellent lorsque 90% du pollen a atteint l’ovaire. Si la température est trop froide, la croissance des tubes polliniques sera trop lente et toutes les graines ne pourront pas être atteintes à temps. Ces fruits ne seront donc pas fécondés ou de façon incomplète et auront plus de chance de tomber, comme dans l’exemple de la figure 3 entre le début et la pleine floraison.
Comment utiliser le modèle pour l’éclaircissage des fleurs
Pour planifier un éclaircissage floral, il faut avant tout évaluer la charge optimale en fruits des arbres d’une parcelle. À titre indicatif, dans les vergers de pommier nains en haute densité elle devrait se situer entre 80 et 150 fruits par arbre (un peu plus ou moins selon les variétés et le gabarit des arbres).
Un suivi méticuleux de la floraison est ensuite important. Il faut tout d’abord indiquer au modèle la date d’ouverture de la première fleur. Ensuite, on fera une estimation de la date à laquelle le nombre de fleurs souhaitées par arbre sont ouvertes (par exemple toutes les fleurs reines). À partir du moment où le nombre de fleurs visées sont ouvertes, on peut suivre la ligne bleue qui indique la croissance des tubes polliniques des fleurs qui sont ouvertes ce jour-là. Lorsque celle-ci atteint le seuil de bonne fécondation des fleurs, vous devriez avoir assez de fruits pour une récolte optimale. À cette date, vous pouvez commencer à appliquer des produits pour l’éclaircissage des fleurs, tels que le thiosulfate d’ammonium (ATS) ou la bouillie soufrée, afin d’éliminer toutes les fleurs excédentaires.
Dans l’exemple de la Figure 4, la floraison de la variété McIntosh a commencé le 11 mai. Le 14 mai en fin de journée, les fleurs reines de la variété Honeycrisp étaient ouvertes. Le 17 mai les tubes polliniques de ces fleurs auront atteint le seuil bonne fécondation. C’est à ce moment que le traitement d’éclaircissage chimique sur les fleurs peut être appliqué.
La figure 5 montre un exemple différent où la pleine floraison a été atteinte le 15 mai 2023. Le développement des tubes polliniques a été retardé par la température froide et des gelées nocturnes. Plusieurs jours ne convenaient pas à la pollinisation par les insectes et la croissance des tubes polliniques était au ralenti. Dans cette situation, l’éclaircissage des fleurs n’est pas conseillé.
Comment fonctionne le modèle RIMpro pour l’éclaircissage des fruits
La partie du modèle RIMpro sur l’éclaircissage des fruits s’inspire du modèle de prédiction de la réponse aux éclaircissants chimiques en fonction du bilan glucidique MaluSim, développé par Alan Lakso aux États-Unis (Lakso, N.A, 2011 et Robinson et Lakso 2011). Le modèle RIMpro intègre également la sensibilité des fruits selon leur calibre.
- Sensibilité aux agents éclaircissants en fonction du calibre des fruits :
Les fruits sont sensibles aux produits éclaircissants environ 6 à 35 jours après la pleine floraison. Les étiquettes des produits d’éclaircissage des fruits indiquent le moment optimal en fonction du nombre de jours après la pleine floraison ou en mm de la taille du fruit. RIMpro considère que les fruits entre 8 et 14 mm sont les plus sensibles aux agents éclaircissants avec un maximum entre 10 et 12mm, après quoi elle diminue (Trapman, M. 2018). Il est donc important de tenir compte de la taille des fruits pour effectuer son traitement d’éclaircissage. Toutefois, si on se fie seulement au calibre des fruits, la réponse au traitement d’éclaircissage est imprévisible et peut être plus ou moins importante en raison du bilan des glucides.
- Sensibilité selon le bilan des glucides :
Depuis quelques années nous savons également que la sensibilité des fruits aux traitements d’éclaircissage chimique est influencée par le bilan des glucides. Durant le jour, les feuilles utilisent l’énergie lumineuse pour produire des sucres (glucides) via la photosynthèse. Les arbres utilisent ces sucres pour la respiration cellulaire (particulièrement la nuit) et leur croissance. La température et la lumière influencent la quantité de sucres produits (via la photosynthèse) tandis que la consommation en sucre dépend de la température et de la charge en fruits. Ainsi, des températures élevées durant la nuit (respiration élevée des bouquets) une faible luminosité le jour et une nouaison élevée provoqueront une demande élevée en glucides, qui rend les pommes plus sensibles à l’éclaircissage (elles tomberont plus facilement). À l’inverse, des températures fraîches durant la nuit (faible respiration), des journées ensoleillées et une faible nouaison sont des conditions qui favorisent la production de glucides (faible demande) et rendent les arbres plus difficiles à éclaircir (les pommes seront plus fortement accrochées). Étant donné que les conditions météo (température, luminosité) varie tous les jours, le bilan de glucide peut être positif (surplus de glucide) ou négatif (déficit de glucide) et c’est ce bilan qui influencera la sensibilité des fruits aux éclaircissants chimiques.
RIMpro considère le calibre des fruits et le bilan des glucides
RIMpro calcule et prévoit la croissance des fruits en fonction de la température de l’air. Celle-ci est représentée par une ligne noire fine et une zone rose dans la partie supérieure du graphique (figure 4). La sensibilité des fruits en fonction de leur calibre est représentée par une ligne noire plus large dans cette même partie du graphique avec un maximum lorsque les fruits ont un diamètre de 10 à 12 mm.
La partie inférieure du graphique illustre la production nette de glucides durant le jour en vert et la consommation nette de glucides durant la nuit en rouge. Une ligne noire indique le bilan net de glucides pour les prochaines 96 heures.
RIMpro illustre l’effet combiné de la sensibilité en fonction du calibre et du bilan de glucides par la zone en rouge sous la courbe dans la partie supérieure du graphique.
Comment utiliser le modèle pour l’éclaircissage des fruits
Lors de journées indiquées par le modèle comme étant très sensibles à l’éclaircissage des fruits, on peut s’attendre à ce que l’effet des agents éclaircissants soit important. À l’opposé, dans les parcelles qui nécessitent peu d’éclaircissage, il faudrait éviter d’intervenir lors de ces journées à moins de réduire la dose de produit.
Les agents traditionnels d’éclaircissage des fruits augmentent la compétition entre les fruits et les pousses pour les glucides et favorisent ainsi la chute des fruits. Lorsqu’ils sont appliqués les jours où la sensibilité à l’éclaircissage est très élevée et que les conditions météorologiques sont favorables à l’absorption des produits (conditions de séchage lentes: températures supérieures à 15◦C, humidité relative élevée, vent faible ou absence de vent, soirée ou faible luminosité), l’éclaircissage est très efficace. Lorsque les applications doivent être effectuées les jours où la sensibilité à l’éclaircissage est plus faible et / ou les conditions météorologiques moins favorables, la dose de produit doit être augmentée afin d’assurer l’efficacité du traitement.
Exemple Montérégie-Ouest 2023 (figure 6)
La courbe de sensibilité à l’éclaircissage en fonction du calibre montre une sensibilité faible mais en croissance à partir du 26 mai. La sensibilité des pommiers est également plus faible en raison du bilan glucide positif du 26 au 28 mai. Dans cette situation, il est recommandé d’augmenter la dose des traitements d’éclaircissage.
Si vous avez des questions ou des commentaires vous pouvez me contacter :
Evelyne Barriault, agr.
evelyne.barriault@mapaq.gouv.qc.ca
MAPAQ St-Jean sur Richelieu 450-347-8341 poste 4286
Références:
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Robinson, T.L. et A. Lakso, 2011. Predicting Chemical thinner response with a carbohydrate model. Proc. IX th IS on Orchard Systems. Acta Hort. 903. ISHS 2011.
Sansol, J. M, Herrero. 2001. The effective pollination period in fruit trees. Scientia Horticulturae 90 (1-17)
Trapman, M. 2018. The RIMpro Fruit Thinner. A practical tool to optimize fruit and flower thinning. Bulletin aux abonnés.
Yoder, K.S., G.M. Peck, L.D. Combs et R.E. Byers. 2012. Using a pollen tube growth model to improve apple bloom thinning for organic production . Acta Hort.1001.23.
Plateforme Rimpro : https://rimpro.cloud/fr/platform/fruit-thinning-for-apple-and-pear/
Fiche 37a
Vincent Philion et Évelyne Barriault
Les apports d’engrais sont essentiels pour obtenir des rendements optimums de qualité. Une fertilisation déficiente diminue les rendements, mais des apports trop importants et mal ciblés peuvent aussi débalancer les arbres en faveur de la croissance au lieu de nourrir les fruits. L’atteinte d’un optimum entre les feuilles et les fruits pour l’interception de la lumière sans trop ombrager la culture est déterminant1. La fertilisation des arbres peut aussi compliquer la gestion des ravageurs et en particulier des maladies. Ce bulletin a pour but de présenter une approche de fertilisation qui répond à la fois aux impératifs physiologiques des arbres, sans pour autant augmenter les problèmes de maladies et des insectes. Ce bulletin centré sur l’azote, le calcium et le bore est complémentaire à la fiche 37 du guide PFI et ne traite pas d’aspects fondamentaux de la nutrition des arbres comme le pH des sols, le drainage et l’oxygène au niveau des racines, ou les besoins des autres éléments (ex. : phosphore, potassium, magnésium). Notez que les besoins en fertilisation varient selon le cultivar, la charge des arbres et d’autres facteurs2 qui débordent du cadre de cette fiche. En pomiculture, une analyse foliaire annuelle standardisée environ 60 jours après la chute des pétales3 est essentielle pour établir un diagnostic précis qui servira à assurer que les apports soient en équilibre et mieux cibler le moment de vos interventions. Dans les vergers en production, les analyses de sol sont complémentaires aux analyses foliaires4.
Azote (N)
Quand l’azote du sol est limitatif, les apports aident à maintenir la vigueur des arbres, le calibre des fruits, limitent la bisannualité2, etc. Cependant, quand les réserves de l’arbre excèdent les besoins, les apports additionnels peuvent être nuisibles. Puisque l’azote interfère avec l’absorption du calcium (Ca) et du potassium (K), les apports doivent en tenir compte pour éviter une perte de rendement par manque de potassium5 ou les conséquences du manque de calcium (voir la section sur le calcium) qui s’ajouteraient aux problèmes que peuvent engendrer l’azote directement.
L’azote doit être disponible à l’arbre très tôt pendant la période de croissance, à la floraison et pendant la multiplication cellulaire dans les fruits. En dehors de cette période les excès d’azote peuvent avoir des effets néfastes sur l’environnement (pollution), mais aussi sur l’arbre et les fruits.
Les excès d’azote ont des effets physiologiques néfastes connus depuis très longtemps6 sur la coloration, la fermeté5, la chute prématurée et plusieurs désordres de conservation des fruits (liège, point amer, scald, brunissement vasculaire, sénescence)7,8. Les arbres en excès sont aussi plus sensibles au gel hivernal9. L’effet d’un excès d’azote sur l’augmentation du point amer n’est pas nécessairement corrigé par des traitements répétés de calcium10,11. L’excès d’azote peut aussi causer des effets dominos : le retard dans l’apparition de la couleur force une date de récolte plus tardive, mais comme la maturation est aussi accélérée par l’excès d’azote, il s’en suit davantage de désordres de conservation et de pourriture en entrepôt5.
Pour les maladies, les arbres en excès d’azote fournissent des acides aminés aux agents pathogènes et produisent moins de mécanismes de défense18. Or, en produisant moins de composés phénoliques les arbres répondent moins bien aux traitements d’éliciteurs (ex. : Apogee) qui visent à augmenter leurs défenses contre les maladies19.
Les effets négatifs d’un excès d’azote peuvent débuter tout de suite après la floraison. Par exemple, l’azote pendant le mois suivant la floraison peut contribuer à la roussissure sur fruits12. Pendant l’été, les effets négatifs de l’azote sont souvent plus importants que les effets positifs. Par exemple, l’azote disponible à l’arbre tardivement retarde la formation du bourgeon terminal, ce qui augmente les problèmes de tavelure13, de feu bactérien14–16 et de pucerons notamment. Les risques de pourriture amère augmentent aussi avec la concentration en azote des fruits17. Finalement, l’azote après la récolte peut aggraver les problèmes de chancre européen20. En plus de l’impact du moment, la forme de l’azote (nitrate vs ammoniaque) et la méthode d’application (sol vs foliaire) s’ajoutent aux multiples interactions qui compliquent la compréhension des effets négatifs de l’azote18.
Pour optimiser la disponibilité de l’azote au bon moment, il faut tenir compte des réserves de l’arbre et fertiliser en conséquence, au moment opportun21. L’objectif est d’assurer un maximum d’azote dans l’arbre en début de saison et laisser le niveau décliner naturellement2,3,22,23. À cause de notre climat, l’azote appliqué au sol au printemps est souvent disponible trop tard et n’est utile que pour l’année suivante quand il n’est pas simplement perdu. L’azote appliqué au sol tardivement entre juin et septembre est toujours une nuisance pendant la saison de croissance. Les applications foliaires après la récolte sont possibles, mais les applications tôt au printemps sont les plus efficaces et correspondent au moment où l’arbre en a besoin24. Les applications d’azote sous forme d’urée foliaire sont aussi efficaces que le même apport d’azote au sol25. En fait, l’urée foliaire est probablement plus efficace26.
Azote au sol
Les engrais à base d’ammonium devraient être évités parce qu’ils acidifient le sol9 et nuisent à l’absorption du calcium7. Les fruits des parcelles traitées au sol avec du nitrate9 ou du sulfate6 d’ammonium sont généralement moins colorés et moins fermes.
Cependant, une application au sol très tôt en saison (avant le débourrement) d’urée (qui libère de l’ammoniaque) est encouragée pour combattre la tavelure (voir fiche 101). L’application en solution de 50 kg/ha d’urée au sol (23 unités d’azote par hectare) remplace le DAP (diammonium phosphate), pour la même quantité d’azote.
La balance de l’apport d’azote au sol devrait être fournie préférablement sous forme de nitrate (ex. : nitrate de calcium), ou une combinaison (ex. : nitrate d’ammonium calcique, 24,5-0-0). En général, le nitrate de calcium est préférable au nitrate d’ammonium parce que l’apport de calcium au sol réduit l’incidence de point amer, améliore la qualité générale des fruits11, et augmente la résistance des arbres au gel d’hiver27. Le calcium peut cependant être fourni à l’automne par chaulage. N’appliquez que l’azote qui est nécessaire. Une partie des excès d’azote au sol nourrit le gazon et non l’arbre2,9, l’apport dirigé vers la zone désherbée autour des arbres est recommandé2.
Azote foliaire
L’urée foliaire (et probablement toutes les sources d’azote) ne devrait pas être appliqué sur les arbres déjà en excès d’azote. Cependant, l’urée foliaire appliqué tôt en saison (entre le stade débourrement avancé et le stade calice) est utile à l’arbre et aide même à réprimer la tavelure28,29. Lorsqu’appliqué au moment de la floraison, l’urée a un léger effet d’éclaircissage30. L’urée foliaire peut aussi atténuer les dommages de gel, en prévenant la formation de cristaux de glace pendant un épisode de gel printanier léger. Toutefois elle pourrait aggraver les dommages lors d’un gel sévère31. Même si l’arbre absorbe l’urée encore plus efficacement lors des applications plus tardives après la nouaison25, le bénéfice n’est pas toujours mesurable25 et c’est lors des applications tardives que les problèmes commencent. Les applications foliaires d’azote sous toutes ses formes ne devraient pas être faites plus de 10-14 jours après le stade calice2, de sorte que l’azote commence à chuter après la multiplication cellulaire dans les fruits qui se termine environ 28 jours après la pleine fleur1.
Les problèmes de l’azote en été ne sont pas seulement reliés à l’urée tardif. Même si la quantité d’azote appliquée en été lors des traitements de nitrate de calcium ou de nitrate de zinc est généralement faible, les effets négatifs de l’azote tardif restent mesurables. Suite aux traitements de nitrate de calcium, la quantité d’azote dans la pelure et la chair des fruits augmente32 et a pour effet une dégradation de la couleur33 et la qualité des fruits34. La quantité d’azote dans la pelure des fruits est d’ailleurs un excellent paramètre pour prédire le point amer dans la Honeycrisp10. Les fertilisants à base de calcium, zinc ou autres appliqués en été n’ont pas besoin de contenir de l’azote. Privilégiez les formulations sans azote (voir la section sur le chlorure de calcium).
Dans les vergers où le chancre européen n’est pas un problème20, l’urée foliaire à l’automne (post récolte) nourrit les bourgeons et constitue une réserve pour l’arbre qui est disponible au moment où ils en ont besoin, soit au moment du débourrement pour l’année suivante35. Ce traitement inhibe aussi partiellement la tavelure (voir fiche 101).
Directives pour les traitements foliaires d’azote : La stratégie proposée pour optimiser les bénéfices de l’azote consiste à appliquer de l’urée à répétition dès que des feuilles du bouquet sont étalées (stade du débourrement avancé)22 et jusqu’à maximum 10-14 jours après la chute des pétales2 à raison de 3 ou 4 kg/ha par application pour un total d’environ 5 ou 6 passages (≃20 kg/ha d’urée au total donne environ 9 unités d’azote). Mélanger l’urée à vos traitements fongicides 1x par semaine est probablement la meilleure approche pour y arriver. En outre, l’urée est compatible en mélange avec le bore, avec le zinc (Zn-EDTA)22 et avec le chlorure de calcium. Le calcium peut même favoriser l’absorption de l’azote36. En principe, l’urée est aussi compatible avec le sel d’Epsom22, mais ce mélange cause parfois du dommage au feuillage jeune2. Un traitement d’urée au stade calice en mélange avec le bore et le chlorure de calcium est une avenue intéressante37, mais il est préférable d’appliquer le sel d’Epsom séparément. Aucune forme d’azote ne devrait être appliquée sur les arbres entre le 1er juin36 (environ 10 jours après calice) et la récolte. Lors des traitements, l’urée prend plusieurs heures après séchage avant d’être entièrement absorbé par l’arbre, mais le volume de bouillie n’a pas d’effet sur la quantité finale d’azote absorbée par la feuille. Par exemple, jusqu’à 6 kg d’urée dans 150 L/ha d’eau38.
Calcium (Ca)
Le niveau de calcium dans les arbres et dans les fruits est tributaire de la disponibilité du calcium dans le sol et de la charge fruitière. Les apports de calcium devraient être faits en considérant la cause de la carence. Par exemple, les carences (bore, zinc)2 ou certains excès (azote, magnésium)39 et un pH de sol trop faible39 peuvent expliquer les problèmes de calcium. De même, les arbres peu chargés40 et donc avec des fruits plus gros41 sont plus sujets aux désordres comme le point amer (bitter pit) sans que le calcium soit problématique pour une charge fruitière normale.
Plus la croissance est importante, pire sont les problèmes de point amer et ce, peu importe le calcium disponible. La croissance est même utilisée pour prédire le point amer sur Honeycrisp10. Favoriser la formation rapide d’un bourgeon terminal (éviter l’azote et la taille, régulateur de croissance, etc.) augmente donc l’absorption du calcium.
Le chaulage, les apports calciques au sol (ex. : nitrate de calcium), les paillis de bois42 (ex. : bois raméal) contribuent à la fertilisation en calcium, mais ne sont pas toujours efficaces pour augmenter la concentration en calcium des fruits41 et réprimer le point amer43. Les applications foliaires de calcium durant l’été sont souvent essentielles pour prévenir le point amer, mais aussi d’autres désordres physiologiques (ex. : scald32,44, cork spot du poirier45), notamment sur des cultivars comme Cortland39, Spartan7 et Honeycrisp46. Les apports de calcium peuvent contribuer aussi à prévenir les dommages liés au gel hivernal27. Pour des pommes au même niveau de maturité, les apports foliaires de calcium peuvent aussi améliorer la grosseur, densité, fermeté, couleur et l’apparence générale des fruits32,44.
De plus, le calcium a aussi un effet contre les maladies47,48. Les arbres bien fournis en calcium sont moins affectés par le feu bactérien16. Le chlorure de calcium foliaire (mais pas les autres formes de calcium) réprime en partie la tavelure (feuilles et fruits)49, le blanc50, la suie-moucheture51-53, la pourriture amère51,54, la rouille47, Alternaria55 et les pourritures d’entreposage56. La même chose est observée pour plusieurs maladie du poirier57,58. La seule exception est la pourriture blanche associée à Botryosphaeria dothidea qui pourrait être amplifiée par le chlorure de calcium59 mais cette maladie est à peu près absente au Québec. Par ailleurs, le chlorure de calcium inhiberait cette maladie dans la poire, sauf quand la dose de calcium est excessive60.
Cependant, l’ensemble des bénéfices des traitements foliaires de calcium ne sont pas toujours mesurables. Une faible quantité peut suffire à réprimer le point amer, alors que la fermeté et la résistance aux maladies ne sont mesurables qu’avec des apports plus importants5.
Pour assurer un usage optimal et une pénétration suffisante de calcium, des applications répétées sont requises et les traitements doivent généralement commencer avant la mi-juin61. Cependant, l’absorption par les jeunes fruits est variable et la date optimale de début des traitements pourrait varier selon le cultivar62. Steve Hoying (Cornell) recommandait en fait de débuter les traitements de calcium dès la chute des pétales63. Plus de 6 traitements par année peuvent être nécessaire pour en bénéficier44 (ex. : aux 2 semaines), mais la fréquence optimale peut être encore plus élevée. Il est possible d’obtenir un effet positif du calcium avec un seul traitement à deux semaines de la récolte, mais cette pratique est en général risquée (phytotoxicité, maturation plus rapide des fruits, etc.)7 La pénétration du calcium peut être bonne lors des applications tardives de calcium, mais les bénéfices pour réprimer le point amer seront moindres43.
Lors des traitements foliaires, la vitesse de pénétration du calcium dans les fruits est assez constante entre 15-30 °C64, mais relativement lente. Il est donc important de choisir un sel avec la pénétration la plus rapide pour éviter les pertes à cause du lessivage par la pluie.
Chlorure de calcium (CaCl2)
De toutes les formulations de calcium, le chlorure (CaCl2) vendu sous forme de flocons (77 % CaCl2, soit 28 % Ca) est la plus efficace, la moins chère et son usage est permis en production biologique65. En laboratoire, la vitesse de pénétration du CaCl2 est supérieure à la vitesse de pénétration de la plupart des autres formulations de calcium, incluant les formulations commerciales plus complexes, parfois appelées « organiques » (acétate, carbonate, lactate, proprionate, nitrate)41,43,66. Cette observation s’explique par le fait que le chlorure de calcium a un point de déliquescence très faible. Autrement dit, le chlorure est très hygroscopique. En présence d’humidité il revient rapidement en solution, ce qui permet son absorption par la plante. Ces résultats ont été confirmés en verger32; les fruits traités avec le chlorure sont plus fermes qu’avec les autres sources de calcium. Aucune autre source de calcium n’est supérieure au chlorure pour réduire le point amer sur Honeycrisp10,46,67. Les formes chélatées de calcium contiennent trop peu de calcium pour être efficaces et ne sont pas recommandées2. Les spécialistes de la fertilisation n’hésitent pas à recommander le chlorure, plus que tout autre produit39.
Malgré ses qualités, le chlorure de calcium peut devenir problématique quand la vitesse de pénétration dépasse la capacité de la plante. Le chlorure de calcium devient alors phytotoxique et cause une brûlure du feuillage. La sévérité de la brûlure est variable et ne porte pas toujours à conséquence. Cet effet est observé notamment lorsque la dose par hectare est excessive et que le produit est appliqué lors de conditions de séchage très lentes, lorsque la température dépasse 26-27 °C, que le feuillage est très jeune et sensible à cause du temps très nuageux39, qu’il est déjà fragilisé par des ravageurs (ex. : acariens), ou en fin de saison32. Certains cultivars sont aussi plus sensibles (ex. : Empire39,68). Néanmoins, il est possible d’utiliser le chlorure de calcium de façon sécuritaire : la clef est d’ajuster la dose de chlorure de calcium à la baisse, éviter des mélanges trop agressifs et s’ajuster aux circonstances. Par exemple, attendre la baisse de la température en soirée avant de traiter. L’ajout d’adjuvants et d’agents mouillants (ex. : LI-700, vinaigre) pour ajuster le pH (pH = 6) et limiter l’accumulation de grosses gouttes sur le bout des feuilles peuvent aider39, mais seulement lorsque le chlorure de calcium est appliqué seul. Ces produits ne sont pas nécessaires pour l’absorption du chlorure de calcium, mais bien pour éviter une accumulation locale de la bouillie caustique. Lorsque le chlorure de calcium est utilisé en mélange avec des pesticides commerciaux, les adjuvants additionnels ne sont pas nécessaires et peuvent causer des problèmes.
Pour « clore » le sujet, certains produits à base de calcium indiquent que les formulations à base de chlore sont à proscrire en lien avec les risques décrits précédemment, et d’autres risques non spécifiés. Tant que les précautions sont suivies, le chlorure de calcium est efficace, sécuritaire et avantageux. Aucune justification environnementale ou agronomique fondamentale qui pourrait justifier son abandon n’a été trouvée dans le cadre de cette revue de la littérature scientifique.
Directives pour les traitements foliaires de chlorure de calcium : Débuter les applications entre la fin mai et le début juin et continuez jusqu’à la récolte en baissant graduellement la fréquence. Par exemple, chaque semaine en juin (4 applications), chaque 10 jours en juillet (3 applications) et aux deux semaines par la suite (3 applications). Les applications hâtives sont les plus efficaces contre le point amer et les applications tardives apportent les autres bénéfices43. La dose usuelle de chlorure de calcium varie selon le moment de l’application et débute à 4 kg/ha39,63 monte à 7 kg/ha62, 9 kg/ha44 et même plus43,63 par traitement. Il est toujours préférable d’augmenter le nombre de traitements et diminuer la dose que l’inverse. Un programme entre 30 et 72 kg/ha par saison de la formulation est recommandé (8 à 10 applications)39,69 pour un total approximatif entre 8 et 20 kg/ha de calcium par année. Sur des petits arbres (TRV faible), les programmes avec moins de 3,25 kg/ha de calcium élémentaire, soit environ 12 kg/ha de formulation pendant la saison, n’ont aucun effet mesurable67. En absence de pluie il n’est pas utile de renouveler un traitement encore en place.
La quantité à appliquer doit être ajustée à la dimension des arbres (ex. : TRV). Cependant, le volume de bouillie n’a pas d’impact sur l’absorption. Pour une même quantité par hectare, les traitements en concentré (ex. : 250 L/ha ou même moins) sont aussi efficaces que les traitements en dilué62,70. Les traitements avec un volume réduit sont souvent moins phytotoxiques qu’en dilué68, mais la phytotoxicité peut être aggravée si le pulvérisateur est mal calibré39. À raison de 1 $/kg pour le chlorure de calcium, le coût des traitements (ex. : 10 applications à 4-10 kg/ha ≃ 70 $/ha) est très faible.
Notes additionnelles pour les traitements foliaires de chlorure de calcium : Si une application de chlorure de calcium coïncide avec un traitement de APOGEE ou de KUDOS, ne pas mélanger les produits71. Traiter APOGEE ou KUDOS au moins deux ou trois jours avant le calcium pour assurer l’efficacité du régulateur de croissance72. L’hormone sera moins efficace si elle est appliquée sur des résidus de calcium71. Si possible, attendez qu’une pluie lessive un peu le calcium avant d’appliquer l’hormone.
Le chlorure de calcium est incompatible63 avec le sel d’Epsom22,39 et génère un précipité d sulfate de calcium2 (plâtre de Paris) qui peut bloquer les buses. En absence de blocage avec votre équipement, ce mélange fonctionne.
Le mélange du chlorure de calcium et du bicarbonate de potassium produit une suspension de carbonate de calcium qui est très peu efficace comme source de calcium43 et annule l’effet fongicide du bicarbonate73.
Techniquement, le chlorure de calcium peut être ajouté en mélange avec la plupart des pesticides utilisés en été39, incluant le soufre74. Les risques de brûlure associés au mélange de chlorure de calcium et soufre (toutes les formes) sont probablement liés aux années avec un climat très nuageux ou pluvieux pendant la période de division cellulaire des fruits (1 mois suivant la floraison). Le problème n’est pas observé dans les pays très ensoleillés comme l’Afrique du Sud.
Il est possible de mélanger le chlorure de calcium et le Captan, tant qu’un surfactant n’est pas ajouté au mélange39. Au stade calice, le mélange de bore et de chlorure de calcium améliore la pénétration du bore75.
Après la récolte : Le trempage des fruits dans le chlorure de calcium après récolte a peu d’efficacité contre le point amer, mais peut réduire une partie des problèmes de sénescence7. C’est une solution de dernier recours39.
Autres formulations de calcium :
D’autres produits à base de calcium existent, mais ont des lacunes importantes. La plupart contiennent très peu de calcium et sont chers, et/ou contiennent de l’azote. Ils sont aussi responsables de phytotoxicité. Par exemple, le nitrate de calcium est plus souvent sujet à la phytotoxicité sur poiriers45 à causer des dommages aux lenticelles des fruits (Idared, Spartan)69 et un liège sur des cultivars comme la délicieuse2. Le nitrate de calcium et les formulations de chélatés de tous les minéraux76 pourraient même favoriser d’autres maladies à la surface des fruits77. Le chlorure de calcium a donc graduellement remplacé le nitrate qui était recommandé avant 19607. Par ailleurs, le phosphite de calcium (aussi appelé phosphonate), laisse des résidus très persistants dans les arbres pendant des années (voir fiche 49).
Bore (B)
Le bore est essentiel à la floraison de l’année en cours, la nouaison78 et la formation des bourgeons pour l’année suivante. Le bore prévient aussi une partie des dommages de gel durant la fleur79, la roussissure sur les jeunes fruits12 et le cœur liégeux en été. Les carences en bore sont fréquentes en verger75, notamment en période de sécheresse2 et affectent (entre autres) l’absorption du calcium et du potassium78. Les applications au sol peuvent suffirent, mais les applications foliaires répondent plus rapidement aux besoins de la plante au printemps.
Dans le contexte de la phytoprotection, le bore a un effet reconnu pour inhiber les champignons, dont la tavelure du pommier80,81, au point où une application foliaire de bore pourrait remplacer un traitement fongicide80. À la dose de 2 kg/ha d’acide borique (350 g/ha B), le bore serait aussi efficace que des traitements de référence autant en protection qu’en post-infection81. Le bore foliaire réduit aussi les risques de pourriture amère17. Les excès de bore sont rares, mais peuvent augmenter la sensibilité au feu bactérien16. Les traitements foliaires sont recommandés avant la floraison, au stade calice et en post-récolte79. Cependant, le bore est reconnu phytotoxique durant la floraison80.
Directives pour les traitements foliaires de bore
Le bore est obtenu par l’application d’acide borique (H3BO3, borax, 17,5 % bore), de solubor (Etidot-67 EP) (disodium octaborate tetrahydrate, Na2B8O13.4 H2O, 20 % bore) ou d’autres formulations. Toutes les formes commerciales de bore incluant le « borax » (utilisé sans préférence dans ce texte) sont équivalentes et il n’est pas pertinent de payer plus cher pour celles qui font la promotion d’adjuvants particuliers (ex. : urée, sucres, acides)82.
L’apport annuel « classique » en bore de 0,56 kg/ha75 ou de 1,12 kg/ha dans les sols plus légers82 est obtenu par une application annuelle minimale de 2,8 kg/ha à 5,6 kg/ha de borax. La dose foliaire totale annuelle suggérée varie selon l’apport au sol et peut atteindre 9 kg/ha de formulation par année. Comme les excès de bore peuvent mener à une toxicité, votre apport annuel doit reposer sur des analyses foliaires.
Les applications de bore devraient être fractionnées et appliqué au bouton rose75 et après la floraison82, par exemple lors du premier traitement avec le chlorure de calcium75. En cas de carence, le bore est recommandé parfois dès le stade du débourrement avancé22 et jusqu’à un mois après la chute des pétales2,78. Les applications plus tard en saison (juillet et août) ne sont pas recommandées et pourraient provoquer un mûrissement hâtif2. Cependant, une application foliaire après récolte sur du feuillage encore fonctionnel est bénéfique pour mieux passer l’hiver2. Le fractionnement en plusieurs doses pourrait permettre de mieux profiter de l’action fongicide (ex. : 5 applications de 0,6 à 1 kg de formulation par hectare) mais cette dose est peut-être insuffisante comme fongicide.
Deux restrictions importantes sont à considérer : le bore est incompatible en mélange avec l’huile et avec les sachets hydrosolubles (ex. : Captan WSP). Diluer les sachets dans l’eau avant d’ajouter le bore ou prévoir une formulation liquide de Captan (formulation SC).
Calendrier de fertilisation foliaire (azote, bore, calcium)
Les apports de magnésium et de zinc débordent de cette fiche mais sont inclus dans le calendrier, parce que les carences de ces minéraux sont fréquentes dans le Nord-Est de l’Amérique2. Les apports de magnésium peuvent être faits au sol (chaux dolomitique), mais pour le zinc, les applications foliaires sont plus fiables et plus rentables que les apports au sol ou par fertigation78.
Exemple de calendrier
Le symbole « + » précise que le mélange en réservoir est préconisé. Ex. : Urée + Bore
Préfloral :
- Débourrement avancé : Urée (3 kg/ha) + Zinc-EDTA
- Bouton rose : Urée (3 kg/ha) + 0,6 kg/ha de formulation bore (ex. : borax) (+ Zinc-EDTA si souhaité)
- Bouton rose avancé : même recette
Floraison :
- Urée (3 kg/ha)
Stade calice (chute des pétales) :
- Trio du calice ABC (Azote, Bore, Calcium) : Urée (3 kg/ha) + Borax (0,6 kg/ha) + Chlorure de calcium (4 kg/ha)
Nouaison :
- Urée (3 kg/ha) (dernier) + Sel d’Epsom (magnésium) (45 kg/ha)2
- Traitement séparé si du magnésium est appliqué : Borax (0,6 kg/ha) + Chlorure de calcium (4 kg/ha) (par exemple avec un fongicide)
- Fin de l’azote 28 jours après la floraison : Pour un total de 6 applications d’urée.
Mi-juin :
- Sel d’Epsom (magnésium) + Zinc-EDTA + Borax (0,6 kg/ha) OU
- Borax (0,6 kg/ha) + Chlorure de calcium (4 kg/ha) (par exemple avec un fongicide)
(Pour un total de 5 applications de bore en fractionnement)
Fin juin :
- Sel d’Epsom (magnésium) + Zinc-EDTA
- Traitement séparé : Chlorure de calcium (par exemple avec un fongicide)
Été :
- Chlorure de calcium à intervalle régulier (ex. : chaque deux semaines). (Attention, voir risques de brûlure plus haut dans le texte)
Post récolte (sur les arbres encore verts) :
- Borax (0,6 kg/ha) + Urée (jusqu’à 50 kg/ha, en absence de chancre européen)
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Les options de traitement du feu bactérien en été sont limitées et d’efficacité variable. Le cuivre est parfois bénéfique, mais il peut altérer l’apparence des fruits. Certaines précautions et quelques mélanges peuvent néanmoins réduire les risques liés au cuivre.
Efficacité
Plusieurs tests rapportent aucune efficacité1–5 du cuivre utilisé seul en été alors que d’autres tests démontrent que le cuivre peut parfois aider à diminuer la propagation de la maladie5–7. Le cuivre offre probablement peu ou pas de protection des pousses quand la bactérie arrive de l’extérieur de la parcelle2. Cependant, il a probablement une efficacité partielle quand le cuivre rentre en contact direct avec l’exsudat déjà présent dans la parcelle.
Phytotoxicité
En plus de l’efficacité limitée, les traitements au cuivre ne sont jamais entièrement sécuritaires. Le cuivre peut affecter les fruits à différents moments et provoquer différents symptômes. Les lenticelles noircis ou rougis est le symptôme principal associé à la phytotoxicité du cuivre en été. La roussissure (rugosité) est un autre symptôme qui est surtout problématique lorsque le cuivre est appliqué au printemps et jusqu’à 6 semaines après la floraison. Cependant, la roussissure reste parfois possible en cours d’été quoique son apparition est assez aléatoire. Finalement, les fruits des cultivars sensibles prennent aussi parfois une apparence plus “matte”. Les fruits traités régulièrement au cuivre ne sont pas aussi luisants que les fruits non traités. La tolérance de vos clients pour des fruits moins parfaits est donc un facteur majeur à considérer avant d’envisager un traitement au cuivre.
Formulation, dose et fréquence des traitements.
Le Cueva8 comme l’oxychlorure peuvent affecter l’apparence des fruits. Les autres formulations de cuivre (ex: hydroxide, bouillie bordelaise2), ne sont pas homologuées et sont encore plus phytotoxiques en été.
La dose et la fréquence des traitements recommandée est un compromis entre l’efficacité et la phytotoxicité. Les traitements à dose forte n’apportent pas nécessairement d’avantage d’efficacité et sont nécessairement plus phytotoxiques. Il est probablement préférable d’appliquer le cuivre régulièrement (ex: aux 2 semaines en juin et juillet, soit 5 traitements), à une dose relativement faible. Selon diverses sources, la dose optimale serait d’environ 100g de métal par ha (ex: oxychlorure 50% = 200g/ha, mais non prévu pour cet usage). Le Cueva (homologué) avec la même dose de métal (5.6 L/ha) est aussi une possibilité, quoique plus chère.
Précautions avec le cuivre
Pour éviter d’endommager les fruits et parfois même les arbres, certaines précautions avec le cuivre sont essentielles. Comme pour tous les traitements, la phytotoxicité sur fruits dépend de l’état de la cuticule. Des conditions sèches, ensoleillées et une température élevée favorisent la formation d’une cuticule plus résistante qui réduit considérablement les dommages9. À l’inverse, les problèmes de phytotoxicité sont beaucoup plus fréquents suivants des conditions fraiches et nuageuses.
Dans le cas du cuivre, d’autres recommandations spécifiques s’appliquent :
- Éviter les applications sur Empire, Golden1,9, Mac, Pinova9. Le cuivre en été peut parfois défolier les Golden9. Certains cultivars comme Fuji9, Idared6, Rome1 ont probablement une tolérance intermédiaire.
- Cependant, les applications de cuivre ne causent pas de problèmes sur Gala9, Red Delicious et Topaz. Les différences de sensibilité entre cultivars sont assez marquées. Ces résultats ont été maintes fois confirmés en pratique (Trapman, comm. pers.).
- Visez des conditions de séchage rapide. Par exemple, limiter le volume de bouillie (moins de 450 L/ha) et ne jamais appliquer sur du feuillage humide ou pendant des conditions favorables à la rosée.
- Limitez la quantité de cuivre métallique appliqué. Les doses qui apparaissent sur les étiquettes ne sont pas appropriées.
- Les variations de pH sont à éviter. Par exemple, ne jamais mélanger avec du LI700 ou du phosphonate et ne jamais mélanger ou alterner avec du bicarbonate. Une défoliation est parfois observée.
- Certains mélanges ajoutent aux risques de phytotoxicité. Les traitements avec Captan ou les traitements insecticides devraient être faits dans l’interval entre les traitements au cuivre.
Mélanges bénéfiques
Double Nickel
Le Double Nickel (Bacillus amyloliquefaciens) est parfois efficace comme traitement d’été, notamment lorsqu’il est en mélange avec le cuivre4. Le mélange serait aussi moins phytotoxique sur les fruits que le cuivre seul4. Cependant, ce mélange est couteux et le produit à base de Bacillus est disponible en quantités très limitées en 2016. Il est possible que le Serenade (Bacillus subtilis) puisse être substitué au Double Nickel dans le mélange, mais d’autres essais seraient nécessaires pour confirmer cette proposition.
Soufre ou Argile
Depuis quelques années, le groupe européen des maladies du pommier recommande avec le cuivre l’ajout en mélange de soufre (3 kg/ha) ou une argile de type kaolin (3 kg/ha) . L’argile utilisée est similaire au Surround, mais plus abordable. Dans les deux cas, le mélange réduirait les dommages aux fruits par rapport au cuivre utilisé seul10. Le soufre est cependant réputé phytotoxique à température élevée et le mélange avec soufre n’est donc pas recommandé par temps chaud.
Priorisation des blocs et fin des traitements
Il est possible de prioriser les traitements au cuivre selon les blocs. Par exemple, traiter les arbres malades en amont d’un bloc sain pourrait limiter la propagation de la maladie vers ce bloc. Dans tous les cas, la propagation du feu cesse subitement avec la formation du bourgeon terminal. Les interventions de taille et les traitements au cuivre peuvent donc cesser à ce moment.
Les informations de ce bulletin ont été rendues possibles grâce à Michel Giraud, Luisa Mattedi, David Rosenberger, Marc Trapman et différents membres du groupe européen des maladies du pommier.
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Fiche 110a
Vincent Philion
Depuis quelques années, on aperçoit dans quelques vergers de pommiers une pourriture surprenante des fruits qui apparaît en plein été. La pourriture amère (« bitter rot ») est une maladie sporadique au Québec mais qui est rapportée aux États-Unis depuis plus d’un siècle1–4 et peut malheureusement prendre des proportions importantes certaines années. Cette maladie est parfois considérée comme la plus dommageable sur pommiers5 parce qu’elle peut causer la perte entière de la récolte. La pourriture amère est présente dans plusieurs pays producteurs de pommes1, mais en Amérique la maladie était jadis confinée aux régions au sud des États-Unis6 où elle est contrôlée par l’élimination des symptômes et des applications répétées de fongicides en été7. Au cours du temps, la maladie est devenue de plus en plus fréquente au nord8 et est même devenue une maladie prioritaire en Ontario9. Au Québec, la maladie n’était pas mentionnée dans les guides de production avant 2015 et est passée rapidement d’anecdotique, à préoccupante dans des vergers sous régie biologique mais aussi en PFI.
Étiologie (cause)
La pourriture amère est causée par différentes espèces de champignons microscopiques appartenant au genre Colletotrichum. Ces champignons qui sont très fréquents en nature causent une maladie qui s’appelle l’anthracnose sur la plupart des plantes (à l’exception du pommier) qui peut prendre différentes formes. L’épidémiologie diffère considérablement d’une plante à l’autre pour un même champignon et selon le climat. Les différentes espèces de Colletotrichum ne sont pas très spécifiques à leur hôte et coexistent sur les plantes. Le genre Colletotrichum est complexe et évolutif; conséquemment la taxonomie et la gamme d’hôtes par espèce ne sont donc pas entièrement résolues<sup”>10,11.
Néanmoins, plusieurs espèces sur pommiers sont maintenant bien connues et regroupées à l’intérieur de deux complexes d’espèces; C. acutatum10 et C. gloeosporioides11 mais qui sont variables selon les pays (tableau) et difficilement différentiables sans outils moléculaires. L’espèce ou les espèces impliquées au Québec ne sont pas connues, mais se limitent probablement aux espèces de C. acutatum. Sur la base de la couleur des symptômes observés, l’espèce dominante au Québec est probablement C. fioriniae (K. Everett, comm. pers.) Même si C. acutatum et C. gloeosporioides partagent certains traits, leurs différences notamment pour leur température préférentielle et leur sensibilité aux fongicides pourraient avoir un impact pour la lutte, par exemple pour établir le meilleur moment des traitements12 et le choix des produits13.
Les espèces présentes sur pommier s’attaquent à différentes plantes cultivées tant localement (bleuets, fraises, etc.) qu’à l’étranger (amandes, avocats, pêches, etc.) Sur poiriers, la maladie est moins fréquente en Amérique3,10 mais est rapportée en Chine14. À part les plantes cultivées, les espèces de Colletotrichum présentes sur pommiers s’attaquent à une gamme variée de plantes indigènes et introduites et aussi parfois à des insectes15 et à d’autres organismes16. Par contre, il semble acquis qu’elles ne s’attaquent pas aux graminées16,17.
Les espèces impliquées sont plus ou moins spécialisées selon les symptômes qu’elles provoquent. Par exemple, C. acutatum ne produit jamais de symptômes sur le feuillage des pommiers alors que c’est le cas pour C. gloeosporioides dans certains pays. Les espèces de C. gloeosporioides sont aussi plus agressives sur fruits13. Sur les fruits, la pourriture amère apparaît avant entreposage sous nos conditions, mais en Europe la maladie se déclare surtout lors de l’entreposage18 et est parfois associée à d’autres maladies appelées collectivement gloéosporioses. Les gloéosporioses sont fréquentes en Europe19 et dans l’Ouest américain (Bull’s-eye rot) mais sont probablement absentes au Québec. Les gloéosporioses sont généralement associées à d’autres champignons (surtout Neofabraea sp.)20 et ne sont pas traitées ici. De plus, la pourriture amère d’entreposage européenne est peut-être liée à d’autres espèces du groupe Colletotrichum que celles présentes au Québec (voir Tableau 1). Malheureusement, toutes ces maladies peuvent être facilement confondues sur la base des symptômes.
Tableau 1. Champignons du genre Colletotrichum associés à la pourriture amère du pommier.
Symptômes sur pommiers | Groupe (sensu lato) | Champignon | Pays rapportés pour les espèces sur pommiers | Autres hôtes cultivés atteints (exemples) |
---|---|---|---|---|
Fruits seulement | C. acutatum (CASC) |
C. acerbum | Nouvelle-Zélande, Norvège18 | |
C. fioriniae (Glomerella acutata) (Clade 3) | Corée, Italie, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, USA (espèce probable au Québec) | Amandier, avocatier, bleuet, fraisier, framboisier, manguier, pêcher, olivier, poirier, tomate | ||
C. chrysophilum | USA21 | Cacao, avocats, pêches, bananes | ||
C. noveboracense | USA21 | |||
C. godetiae | Pays-Bas | Amandier, fraisier, framboisier, merisier, olivier, noyer, tamarillo | ||
C. nymphaeae | Brésil, Corée, USA | Fraisier, olivier | ||
C. pyricola | Nouvelle-Zélande | Poirier | ||
C. salicis | Allemagne, Nouvelle-Zélande, Croatie22 | Fraisier, tomate, saule | ||
C. gloeosporioides (Musae clade) (CGSC) |
C. alienum | Nouvelle-Zélande | Avocatier | |
Fruits et parfois feuillage (Glomerella leaf spot, GLS23) | CASC | C. limetticola, C. paranaense, C. melonis | ||
CGSC | C. aenigma | |||
C. fructicola (Glomerella cingulata) | Australie, Brésil, Chine, USA, France, Italie (2021, comm. pers.) | Avocatier, caféier, fraisier, nachi, poirier | ||
C. siamense | USA | Avocatier, caféier, fraisier, pistachier, poivron, vigne | ||
C. theobromicola | USA13 |
Apparition des symptômes
La pourriture amère sous nos latitudes n’apparaît que sur les fruits, il n’y a pas de symptôme foliaire pour les espèces présentes au Québec. La pourriture des fruits est favorisée par les étés chauds, humides et pluvieux. Les fruits peuvent être infectés tout au long de la saison, de la floraison24 à la récolte. Cependant, la plupart des symptômes apparaissent en cours d’été souvent à la suite de conditions chaudes et orageuses. Les premiers symptômes sont assez discrets. Au début, de petites taches circulaires grises ou brunes et peu distinctives apparaissent sur les fruits1, mais pas nécessairement en lien avec les lenticelles. Ces premiers symptômes peuvent être facilement confondus avec d’autres dommages comme la cochenille de San José25 ou même une phytotoxicité au cuivre.
Par la suite, des lésions circulaires beiges superficielles se forment et s’agrandissent à mesure que le champignon cause une pourriture de la chair du fruit. Le nombre de lésions par fruits peut être très variable. Dans certains cas, le fruit peut être couvert de petites lésions qui progressent peu, mais la plupart du temps le fruit est atteint de quelques lésions qui progressent rapidement3, pouvant atteindre 3 cm en moins d’une semaine4. Quand la pomme est tranchée, la progression de la pourriture vers le cœur est souvent en forme de « V » (conique). Quoique caractéristique, ce symptôme n’est pas universel.
Quand la température est très élevée, les fruits peuvent se ratatiner, pourrir entièrement et tomber au sol ou alors se momifier et rester collés sur l’arbre3. Quand la progression est retardée par du temps plus froid, une marge pourpre apparaît à la marge des symptômes.
À la surface des lésions, des cercles concentriques formés de petites structures appelées acervules apparaissent assez tôt pendant la progression des symptômes1. Parfois, les acervules ne suivent pas ce patron et sont plutôt aléatoires3. Lorsque les conditions sont très favorables à la sporulation, soit une humidité très élevée et une température entre 20 °C et 30 °C, une masse gélatineuse rose-orangé ou saumon peut être libérée par les acervules à la surface des fruits.
Cette masse de spores (conidies) prend rapidement une allure plus croûtée et racornie par temps sec.
La sporulation est un signe caractéristique pour un diagnostic fiable de l’infection par Colletotrichum. Cette maladie est la seule à produire une sporulation aussi colorée8. Il est souvent possible de confirmer le diagnostic en laissant les fruits 48 h à température pièce26 dans un sac de plastique. La sporulation est favorisée dans ces conditions.
La pourriture noire des fruits (Botryosphaeria sp.) cause des symptômes similaires sur fruits, incluant une structure noire (pycnide) mais ne sporule pas comme Colletotrichum. Les symptômes plus âgés des deux maladies sont noirs et impossibles à différencier. Sur le bois, les symptômes sont difficiles à distinguer. De plus le champignon colonise souvent des branches affectées par d’autres maladies.
Épidémiologie
Survie hivernale au verger
Les fruits infectés laissés au sol, tous les fruits momifiés et restés dans l’arbre2 ou tombés au sol1, les pédoncules accrochés aux arbres1, les bourgeons à fruit18,19, les chancres associés à plusieurs maladies (ex. : feu bactérien1,6,27, pourriture noire, chancre européen, dépérissement nectrien) et les diverses branches mortes laissées dans les arbres1,2 peuvent héberger Colletotrichum et maintenir des sources de spores résidentes du verger, parfois pendant plusieurs années. Comme les sources au sol peuvent se décomposer et ne permettent pas des éclaboussements de spores aussi importants que les sources dans les arbres, elles sont moins inquiétantes.
Autres modes de survie
En forêt, Colletotrichum est très abondant mais sa présence est discrète puisqu’il vit à l’intérieur des feuilles (endophyte)28. Sur les feuilles mortes et sur le sol, le champignon peut survivre assez longtemps quand les conditions sont sèches, mais meurt rapidement dès que le sol ou la litière sont humidifiés et colonisés par d’autres micro-organismes. Ce n’est donc pas un mode de survie significatif pour passer l’hiver. De plus, même si certaines espèces du champignon (Glomerella acutata, G. cingulata) peuvent produire à l’occasion des ascospores à l’intérieur de périthèces sur les surfaces atteintes (reproduction sexuée, stade parfait), cette phase de la maladie est rarement rapportée en nature pour G. acutata13 et ne contribue probablement pas non plus de façon significative à l’épidémiologie de la maladie sous nos conditions2,16. Finalement, C. fioriniae qui est probablement l’espèce la plus fréquente sur pommiers21 peut aussi infecter et tuer la cochenille de la pruche15. Son association à des écosystèmes forestiers via des insectes laisse donc présager d’autres modes de survie.
Dissémination et survie estivale.
Les spores produites sur les différents hôtes de ce champignon, incluant les pommes affectées, peuvent se propager par éclaboussement, la plupart du temps à la faveur des pluies. Lors d’orages violents, la pluie entraînée par le vent peut disséminer les spores sur d’assez grandes distances et coloniser d’autres cultures incluant les vergers où la maladie était absente. Les insectes attirés par la masse gélatineuse de spores sur les fruits peuvent aussi accidentellement transporter les spores4.
Les spores qui sont disséminées en cours de saison peuvent survivre assez longtemps sur les surfaces où elles atterrissent sans nécessairement provoquer de symptômes. Il faut donc distinguer la contamination (arrivée des spores) de l’infection. On parle alors d’infections quiescentes ou latentes qui peuvent par la suite se développer (ou non) si les conditions sont favorables. Parfois le champignon produit même des spores sans passer par une infection et survit donc discrètement, le plus souvent sur des feuilles (épiphyte)16. Le champignon se nourrit alors sans nuire à la plante qui l’héberge (biotrophe). Ainsi, d’autres plantes malades ou non comme les pommiers pollinisateurs, les champs de fraisiers avoisinants, des arbres comme le marronnier29 et même les mauvaises herbes peuvent être impliquées et servir en tant que réservoirs d’inoculum en cours de saison sans qu’il n’y paraisse.
Infection des fruits
Comme l’agent pathogène est endémique dans plusieurs vergers et que la maladie est sporadique6, il faut conclure que l’arrivée des spores de ce champignon à la surface d’un fruit sain suite à une pluie ne suffit pas pour provoquer la pourriture des pommes. Pour que la maladie se déclare, le champignon doit changer de personnalité sur le fruit et passer d’un état bénin (biotrophe) à malin pour entamer l’infection des tissus et causer la pourriture (nécrotrophe). Cette double identité (hémibiotrophe) est complexe et les conditions qui favorisent le passage d’un état à l’autre sont assez mal connues. Dans les régions où la maladie est sporadique, les années favorables à la maladie sont caractérisées par des étés anormalement chauds6. La pourriture commence à apparaître quand la température moyenne est au dessus des normales pour plusieurs jours. Les symptômes sont beaucoup plus fréquents (18x) sur la face exposée des fruits que sur la face ombragée et les fruits au pourtour des arbres sont plus infectés que les fruits au centre des arbres30. Quand la température extérieure monte à 35 °C, la température à la surface des fruits peut facilement atteindre 50 °C, soit proche de la température mortelle des cellules31. Or, les spores survivent très bien à l’exposition au soleil32. Il est donc possible que le stress hydrique, l’insolation (échaudure) et globalement les dommages liés à la chaleur29 rendent les fruits plus sensibles à l’infection31 et que les spores présentes soient activées dans ces conditions.
Ainsi, une taille estivale alliée à un déficit d’irrigation qui précéderait immédiatement une vague de chaleur pourraient stresser la peau des fruits et permettre l’infection par le champignon, alors les fruits non stressés peuvent demeurer exempts de maladie. D’autres stress comme les applications répétées de certaines formulations de calcium ou de soufre à dose élevée pendant les périodes de chaleur sont possiblement impliqués.
Suite à un premier stress, les infections subséquentes seraient favorisées par l’augmentation des sources de spores29. Les spores déposées sur des fruits abîmés par des insectes, la grêle ou autrement provoquent rapidement des infections. En absence de stress, de très longues périodes d’humectation des fruits (plus de 24 h à 21 °C) sont requises pour provoquer la maladie30.
Mécanismes de défense et nutrition des fruits
Le calcium interagit avec les mécanismes de défense de la plante et inhibe l’activité enzymatique de dégradation du champignon33. Les fruits en déficit de calcium et sujets au point amer (bitter bit) seraient également plus sujets à la pourriture amère, ou du moins à la variante européenne de la maladie34. Pour éviter les infections, des applications de calcium7,33 en dehors des périodes de stress sont reconnues bénéfiques pour réduire la maladie.
Mécanismes d’infection
Au moment de la transition de biotrophe inoffensif à nécrotrophe agressif, le champignon augmente localement le pH en produisant de l’ammoniaque, d’où vient probablement le goût « amer » parfois associé à la chair pourrie par le champignon4. Comme le changement de pH intervient après l’infection, il est peu probable que des traitements acidifiants puissent réduire l’incidence de la pourriture amère. En fait, réduire le pH pourrait même accélérer l’infection54 puisque le champignon réagit aux changements dans son environnement.
Cultivars et moment de l’infection
La plupart des cultivars sont sensibles à cette maladie. La Rome Beauty, la Délicieuse rouge et Fuji seraient tolérants2,36, alors que la Ariane26, Golden26, Ginger Gold et la Honeycrisp37 seraient particulièrement sensibles36. Les attaques qui semblent plus fréquentes sur les cultivars hâtifs (ex. : Paulared), ne seraient pas liées à la maturité des fruits, mais bien à des épisodes de chaleur36. D’autres facteurs comme l’abondance des momies, ou les blessures d’insectes préférentielles sur certains cultivars qui facilitent l’infection peuvent influencer la sensibilité apparente des cultivars36. La baisse de la température à l’approche de la récolte est habituellement un frein important pour la propagation de la maladie. Des problèmes de pourriture amère sont parfois rapportés dans les cultivars tardifs (ex. : Empire), mais le plus souvent dans des secteurs de vergers déjà affaiblis par d’autres facteurs (ex. : gel hivernal). Lors d’automnes chauds les infections à la veille de la récolte peuvent provoquer l’apparition de symptômes qui n’apparaîtront que quelques jours après la sortie de l’entreposage. En Europe du Nord, l’apparition des symptômes suite à l’entreposage est plus grave lorsque les fruits sont conservés à des températures plus élevées (ex. : 3-4 °C) par rapport aux entrepôts plus froids (ex. : 1 °C)18. La maladie ne serait pas transmise pendant l’entreposage.
Moyens de lutte
Dans la plupart des vergers cette maladie est absente et aucune mesure particulière n’est nécessaire. Cependant, une fois la maladie présente et que les conditions sont favorables à l’infection elle peut rapidement prendre des proportions importantes et des mesures strictes sont requises pour l’enrayer. En régie biologique, les pourritures d’été incluant la pourriture amère sont reconnues comme une limite à l’adoption de ce mode de production parce que les outils disponibles ne suffisent pas toujours à contenir la maladie.
Assainissement
Même si le champignon est souvent présent dans l’environnement, l’élimination des sources d’inoculum (chancres, branches mortes, fruits au sol et momifiés, etc.) demeure la méthode privilégiée pour réprimer cette maladie et son efficacité est reconnue depuis très longtemps4. L’assainissement en verger est efficace parce que les spores sont normalement éclaboussées sur de courtes distances. Les sources les plus à risque et qui doivent être priorisées pendant l’hiver sont les branches mortes, notamment celles affectées par le feu bactérien37, et les momies dans les arbres. L’enlèvement des fruits pourris à mesure qu’ils apparaissent peut aider quand les symptômes sont visibles tôt en saison (juin ou juillet) mais comme les spores peuvent perdurer sur les autres fruits à l’état quiescent, cette mesure n’est probablement pas rentable plus tard en cours d’été. De même, l’enlèvement rapide des branches récemment affectées par le feu bactérien aura un avantage double en diminuant la propagation du feu et en minimisant la propagation de Colletotrichum. Après la récolte, faire tomber les momies pour favoriser leur décomposition au sol est essentiel. L’enlèvement des fruits pourris au sol26 ou au minimum leur destruction par fauchage peut également aider. Maintenir un couvre sol de graminées sans mauvaises herbes à feuilles larges pourrait aussi réduire la possibilité d’établissement du champignon pathogène. Éliminer toutes les sources d’inoculum n’est pas possible puisque le champignon se maintient aisément dans le couvert forestier28, mais réprimer la maladie sans réduire les sources locales de spores est très difficile37.
Atténuation des stress
Avant les périodes de chaleur et/ou de sécheresse intense, la réduction du stress hydrique (irrigation), des stress chimiques (bouillies pesticides) et éviter la taille des cultivars à maturité pourraient aussi diminuer les problèmes. Bien que ces facteurs ne soient pas confirmés, il est possible que l’utilisation de filets (ex. : anti-grêle) qui limitent les risques d’échaudure, des applications de Kaolin ou d’autres écrans solaires appliqués avant les épisodes de stress puissent réduire la sévérité des attaques. En présence de stress hydrique, même les meilleurs traitements fongicides ne sont pas efficaces pour réprimer la pourriture amère31.
Fertilisation
Les risques de pourriture amère augmentent avec la concentration en azote des fruits38. Évitez les apports d’azote après la nouaison. À l’inverse, les risques diminuent avec la concentration en bore38. Des applications régulières de bore pourraient donc inhiber la maladie. En dehors des périodes de stress, des applications régulières de chlorure de calcium (CaCl2) à un taux faible (environ 5 kg/ha) se sont avérées aussi efficaces que des traitements fongicides39 pour réprimer la pourriture amère. Les traitements durant la saison peuvent aussi diminuer la sortie des symptômes durant l’entreposage40. Dans certaines études, on note moins de dommage de brûlure par le soleil sur les arbres traités avec du calcium41 et il est possible que cet effet soit responsable de la protection contre la pourriture amère. Le nitrate de calcium ne serait pas efficace42. Le nitrate de calcium et les formulations de chélatés pourraient même favoriser d’autres maladies à la surface des fruits43.
Traitements fongicides
Comme la pourriture amère est pratiquement la seule pourriture rapportée et que nos conditions sont moins propices que celles rencontrées plus au sud, les applications de fongicides « mur à mur » préconisées chez nos voisins immédiats44 ne sont pas utiles sous nos conditions.
Les traitements fongicides appliqués pour réprimer la tavelure en été réduisent partiellement la pourriture amère. Cependant quand les conditions climatiques favorisent la maladie, l’intervalle entre les applications est souvent trop important pour ralentir l’épidémie. Quand tous les facteurs sont réunis, des traitements aux deux semaines à partir du début juin jusque pendant la récolte peuvent être nécessaires, toutes chimies confondues. En absence d’autres mesures de contrôle, des traitements plus fréquents pourraient être requis.
Différents produits sont efficaces contre la pourriture amère, incluant les EBDC (mancozeb), le Captan45, les strobilurines (QoI)37, les SDHI37 (Aprovia, Fontelis, Luna, Sercadis) etc. Certains fongicides (Allegro et Pristine) sont spécifiquement homologués pour des traitements estivaux contre cette maladie. Cependant, ces deux produits sont proscrits en production PFI. De plus, selon le moment de l’application ils ne sont pas nécessairement plus efficaces que les produits à moindre coût12. Le phosphonate, le pyrimethanil26 (Scala) et les inhibiteurs d’ergostérols45 ne sont pas très efficaces.
En production biologique, le cuivre2,4 (oxychlorure seulement) est efficace. Le soufre26 incluant la bouillie soufrée4 ont une efficacité variable.
Le fongicide biologique Serenade Max (Bacillus subtilis) n’est pas souvent recommandé parce que peu efficace contre les autres maladies du pommier, mais fonctionne bien contre la pourriture amère12,46.
Dans les vergers où c’est possible d’utiliser Captan en été, des applications ciblées à la veille des périodes de grande chaleur et renouvelées aux 10-14 jours selon le risque demeurent la meilleure option. Dans les vergers où c’est impossible, alternez entre les différentes molécules efficaces. Aucun traitement n’est efficace contre cette maladie après 55 mm de pluie8. Lorsque les conditions pour l’infection sont présentes, des traitements peuvent être nécessaires assez tard pendant la récolte8. Les traitements en post récolte (fludioxonil, Scholar) n’ont qu’un effet limité si l’infection a eu lieu plusieurs jours avant la récolte8.
Aucun traitement fongicide ne peut arrêter le développement des symptômes déjà visibles. Comme la pourriture amère observée en Amérique ne se déclare que rarement en entrepôt, les traitements en dehors des périodes de risque à la veille de la récolte ou en post récolte ne sont donc pas généralement utiles. En absence de symptômes au moment de la récolte, il est possible de traiter les pommes à l’eau chaude avant l’entreposage et éviter l’apparition des symptômes. Cette approche est fréquente en production biologique en Europe47. Le simple entreposage sous atmosphère modifiée (ex. : ULO) diminue considérablement la sortie des symptômes; comme si la maladie était étouffée. Après ce type d’entreposage il n’y a pas de risque d’apparition de nouveaux symptômes et les fruits commercialisables peuvent être vendus sans risque de retour.
Stress associés aux bouillies pesticides
À l’inverse du cuivre usuel (oxychlorure), l’hydroxyde de cuivre appliqué au cours de l’été même à dose relativement faible (environ 500 g métal/ha) peut augmenter l’incidence de la pourriture amère, probablement parce que cette formulation est trop agressive sur les fruits12.
Prédiction de la maladie
Il n’existe pas de modèle pour prédire la pourriture amère dans la pomme. Cependant, les modèles qui prédisent le stress des arbres comme celui inclus dans RIMpro pourraient vous aider à voir venir les conditions favorables à l’infection et prévenir les problèmes (irrigation, traitements fongicides, etc.)
https://www.rimpro.eu/faces/protected/stressChart.xhtml
Ensachage : En Chine, l’ensachage individuel des pommes (ex. : sacs Fuji) est couramment utilisé pour réprimer la pourriture amère et d’autres maladies d’été comme la suie-moucheture48. Cette méthode est efficace mais les coûts sont très élevés et les sacs entraînent des effets secondaires d’importance variable (moins de sucres, saveur, etc.)
* La taxonomie de ce genre de champignon est complexe et les noms d’espèces rapportés dans la littérature ne sont pas toujours fiables. Certains auteurs réfèrent à C. acutatum et C. gloeosporioides sensu lato qui sont inclusifs de plusieurs espèces. Des noms d’espèces plus anciens comme Gloeosporium fructigenum sont aussi rapportés dans les articles.
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Cette fiche est une mise à jour de la fiche originale du Guide de référence en production fruitière intégrée à l’intention des producteurs de pommes du Québec 2015. © Institut de recherche et de développement en agroenvironnement. Reproduction interdite sans autorisation.
Depuis quelques années, on aperçoit dans quelques vergers de pommiers une pourriture surprenante des fruits qui apparaît en plein été. La pourriture amère (bitter rot) est une maladie sporadique mais qui est rapportée depuis plus d’un siècle1–4 et qui peut malheureusement prendre des proportions importantes certaines années. Cette maladie est parfois considérée comme la plus dommageable sur pommiers parce qu’elle peut causer la perte entière de la récolte. La pourriture amère est présente dans plusieurs pays producteurs de pommes1, mais en Amérique la maladie était jadis confinée aux régions au sud des Etats-Unis5 où elle est contrôlée par l’élimination des symptômes et des applications répétées de fongicides en été6. Au cours du temps, la maladie est devenue de plus en plus fréquente au nord et est même devenue une maladie prioritaire en Ontario7. Au Québec, elle est passée rapidement d’anecdotique, à préoccupante dans des vergers sous régie biologique mais aussi en PFI.
Étiologie (cause)
La pourriture amère est causée par différentes espèces de champignons microscopiques appartenant au genre Colletotrichum. Ces champignons qui sont très fréquents en nature causent une maladie qui s’appelle l’anthracnose sur la plupart des plantes (à l’exception du pommier) qui peut prendre différentes formes. L’épidémiologie diffère considérablement d’une plante à l’autre pour un même champignon. Les différentes espèces de Colletotrichum ne sont pas très spécifiques à leur hôte et coexistent sur les plantes. Le genre Colletotrichum est complexe et évolutif ; conséquemment la taxonomie et la gamme d’hôtes par espèce ne sont donc pas entièrement résolus8,9.
Néanmoins, plusieurs espèces sur pommiers sont maintenant bien connues et regroupés à l’intérieur de deux complexes d’espèces; C. acutatum8 et C. gloeosporiodes9 mais qui sont variables selon les pays (Tableau) et difficilement différentiables sans outils moléculaires. L’espèce ou les espèces impliquées au Québec ne sont pas connues, mais incluent probablement C. fioriniae. Même si C. acutatum et C. gloeosporioides partagent certains traits, leurs différences notamment pour leur température préférentielle et leur sensibilité aux fongicides pourraient avoir un impact pour la lutte, par exemple pour établir le meilleur moment des traitements10 et le choix des produits11.
Les espèces sur pommier s’attaquent à une gamme variée de plantes cultivées tant localement (bleuets, fraises, pommiers, etc.) qu’à l’étranger (amandes, avocats, pêches, etc). Sur poiriers, la maladie est moins fréquente en Amérique3,8 mais est rapportée en Chine12. À part les plantes cultivées, les espèces sur pommiers s’attaquent à une gamme variée de plantes indigènes et introduites et aussi parfois à des insectes13 et à d’autres organismes14. Par contre, il semble acquis qu’elles ne s’attaquent pas aux graminées14,15.
Les espèces impliquées sont plus ou moins spécialisées selon les symptômes qu’elles provoquent. Par exemple, C. acutatum ne produit jamais de symptômes sur le feuillage des pommiers alors que c’est le cas dans certains pays pour C. gloeosporioides. Les espèces de C. gloeosporioides sont aussi plus agressives sur fruits11. Sur les fruits, on distingue la pourriture amère qui apparait généralement avant la récolte, des pourritures qui se déclarent durant l’entreposage, appelées aussi Gloéosporioses. Les gloeosporioses sont fréquentes en Europe16 mais assez rares au Québec et sont généralement associées à d’autres champignons.17 Toutes ces maladies peuvent être facilement confondues sur la base des symptômes, mais la pourriture amère se distingue par une apparition avant récolte.
Symptômes sur pommiers | Groupe (sensu lato) | Champignon | Pays rapportés pour les espèces sur pommiers | Autres hôtes cultivés atteints (exemples) |
Fruits seulement | C. acutatum | C. acerbum | Nouvelle Zélande | |
C. fioriniae (Glomerella acutata) | Corée, Italie, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, USA | amandier, avocatier, bleuet, fraisier, framboisier, manguier, pêcher, olivier, poirier, tomate | ||
C. godetiae | Pays-Bas | amandier, fraisier, framboisier, merisier, olivier, noyer, tamarillo | ||
C. nymphaeae | Brésil, Corée, USA | fraisier, olivier | ||
C. pyricola | Nouvelle Zélande | poirier | ||
C. salicis | Allemagne, Nouvelle Zélande | fraisier, tomate, saule | ||
C.gloeosporioides(Musae clade) | C. alienum | Nouvelle Zélande | avocatier | |
Fruits et parfois feuillage (Glomerella leaf spot, GLS18) | C. fructicola(Glomerella cingulata) | Australie, Brésil, Chine, USA | avocatier, caféier, fraisier, nachi, poirier | |
C. siamense | USA | avocatier, caféier, fraisier, pistachier, poivron, vigne | ||
C. theobromicola | USA11 |
Apparition des symptômes
La pourriture des fruits est favorisée par les étés chauds, humides et pluvieux. Les fruits peuvent être infectés tout au long de la saison, de la floraison19 à la récolte. Cependant, la plupart des symptômes apparaissent en cours d’été souvent à la suite de conditions chaudes et orageuses. Les premiers symptômes sont assez discrets. Au début, de petites taches circulaires grises ou brunes et peu distinctives apparaissent sur les fruits,1 mais pas nécessairement en lien avec les lenticelles. Ces premiers symptômes peuvent être facilement confondus avec d’autres dommages comme la cochenille de San Jose20 ou même une phytotoxicité au cuivre.
Par la suite, des lésions circulaires beiges superficielles se forment et s’agrandissent à mesure que le champignon cause une pourriture de la chair du fruit. Le nombre de lésions par fruits peut être très variable. Dans certains cas, le fruit peut être couvert de petites lésions qui progressent peu, mais la plupart du temps le fruit est atteint de quelques lésions qui progressent rapidement3, pouvant atteindre 3cm en moins d’une semaine.4 Quand la pomme est tranchée, la progression de la pourriture vers le cœur est souvent en forme de « V » (conique). Quoique caractéristique, ce symptôme n’est pas universel. Quand la température est très élevée, les fruits peuvent se ratatiner, pourrir entièrement et tomber au sol ou alors se momifier et rester collés sur l’arbre3. Quand la progression est retardée par du temps plus froid, une marge pourpre apparaît à la marge des symptômes.
À la surface des lésions, des cercles concentriques formés de petites structures appelées acervules apparaissent assez tôt pendant la progression des symptômes1. Parfois, les acervules ne suivent pas ce patron et sont plutôt aléatoires3. Lorsque les conditions sont très favorables à la sporulation, soit une humidité très élevée et une température entre 20° et 30°C, une masse gélatineuse rose-orangée ou saumon peut être libérée par les acervules à la surface des fruits. Cette masse de spores (conidies) prend rapidement une allure plus croûtée et racornie par temps sec. La sporulation est un signe caractéristique fiable de l’infection par Colletotrichum. La pourriture noire des fruits (Botryosphaeria sp.) cause des symptômes similaires, mais sans cette sporulation particulière. Les symptômes plus âgés des 2 maladies sont noirs et impossibles à différencier. Sur le bois, les symptômes sont difficiles à distinguer. De plus le champignon colonise souvent des branches affectées par d’autres maladies.
Épidémiologie
Survie hivernale au verger
Les fruits infectés laissés au sol, tous les fruits momifiés et restés dans l’arbre 2 ou tombés au sol1, les pédoncules accrochés aux arbres1, les bourgeons à fruit16, les chancres associés à plusieurs maladies (ex :feu bactérien1,5, pourriture noire, chancre européen, dépérissement nectrien) et les diverses branches mortes laissées dans les arbres1,2 peuvent héberger Colletotrichum et maintenir des sources de spores résidentes du verger, parfois pendant plusieurs années. Comme les sources au sol peuvent se décomposer et ne permettent pas des éclaboussements de spores aussi importants que les sources dans les arbres, elles sont moins inquiétantes.
photo = Dépérissement nectrien dans l’arbre hébergeant Colletotrichum, à l’origine de la pourriture amère sur le fruit à proximité (Y. Morin).
Autres modes de survie.
Sur les feuilles mortes et sur le sol, le champignon peut survivre assez longtemps quand les conditions sont sèches, mais meurt rapidement dès que le sol ou la litière sont humidifiés et colonisés par d’autres micro organismes. Ce n’est donc pas un mode de survie significatif pour passer l’hiver. De plus, même si certaines espèces du champignon (Glomerella acutata, G. cingulata) peuvent produire à l’occasion des ascospores à l’intérieur de périthèces sur les surfaces atteintes (reproduction sexuée, stade parfait), cette phase de la maladie est rarement rapportée en nature pour G. acutata11 et ne contribue probablement pas non plus de façon significative à l’épidémiologie de la maladie sous nos conditions2,14. Finalement, C. fioriniae qui est probablement l’espèce la plus fréquente sur pommiers peut aussi infecter et tuer la cochenille de la pruche13. Son association à des écosystèmes forestiers via des insectes laisse donc présager d’autres modes de survie.
Dissémination et survie estivale
Les spores produites sur les différents hôtes de ce champignon, incluant les pommes affectées, peuvent se propager par éclaboussement, la plupart du temps à la faveur des pluies. Lors d’orages violents, la pluie entrainée par le vent peut disséminer les spores sur d’assez grandes distances et coloniser d’autres cultures incluant les vergers où la maladie était absente. Les insectes attirés par la masse gélatineuse de spores sur les fruits peuvent aussi accidentellement aussi transporter les spores4.
Les spores qui sont disséminées en cours de saison peuvent survivre assez longtemps sur les surfaces où elles atterrissent sans nécessairement provoquer de symptômes. On parle alors d’infections quiescentes ou latentes qui peuvent par la suite se développer (ou non) si les conditions sont favorables. Parfois le champignon produit même des spores sans passer par une infection et survit donc discrètement, le plus souvent sur des feuilles (épiphyte).14 Le champignon se nourrit alors sans nuire à la plante qui l’héberge (biotrophe). Ainsi, d’autres plantes malades ou non comme les pommiers pollinisateurs, les champs de fraisiers avoisinants, des arbres comme le marronnier21 et même les mauvaises herbes peuvent être impliquées et servir en tant que réservoirs d’inoculum en cours de saison.
Infection des fruits
Comme l’agent pathogène est endémique dans plusieurs vergers et que la maladie est sporadique5, il faut conclure que l’arrivée des spores de ce champignon à la surface d’un fruit sain suite à une pluie ne suffit pas pour provoquer la pourriture des pommes. Pour que la maladie se déclare, le champignon doit changer de personnalité sur le fruit et passer d’un état bénin (biotrophe) à malin pour entamer l’infection des tissus et causer la pourriture (nécrotrophe). Cette double identité (hémibiotrophe) est complexe et les conditions qui favorisent le passage d’un état à l’autre sont assez mal connues. Dans les régions où la maladie est sporadique, les années favorables à la maladie sont caractérisées par des étés anormalement chauds5. La pourriture commence à apparaître quand la température moyenne est au dessus des normales pour plusieurs jours. Les symptômes sont beaucoup plus fréquents (18x) sur la face exposée des fruits que sur la face ombragée et les fruits au pourtour des arbres sont plus infectés que les arbres au centre des arbres22. Or, les spores survivent très bien à l’exposition au soleil23. Par ailleurs, la température à la surface des fruits peut facilement atteindre 50°C quand la température extérieure monte à 35°C. Il est donc possible que le stress hydrique, l’insolation (échaudure) et globalement les dommages liés à la chaleur21 rendent les fruits plus sensibles à l’infection et que les spores présentes soient activées dans ces conditions.
Ainsi, une taille estivale alliée à un déficit d’irrigation qui précéderait immédiatement une vague de chaleur pourraient stresser la peau des fruits et permettre l’infection par le champignon, alors les fruits non stressés peuvent demeurer exempts de maladie. D’autres stress comme les applications répétées de certaines formulations de calcium ou de soufre pendant les périodes de chaleur sont possiblement impliqués, quoique les applications de calcium6,24 en dehors de ces périodes sont reconnues bénéfiques pour réduire la maladie. Le calcium interagit avec les mécanismes de défense de la plante et inhibe l’activité enzymatique de dégradation du champignon24.
Suite à un premier stress, les infections subséquentes seraient favorisées par l’augmentation des sources de spores21. Les spores déposées sur des fruits abimés par des insectes, la grêle ou autrement provoquent rapidement des infections. En absence de stress, de très longues périodes d’humectation des fruits (plus de 24 h à 21°C) sont requises pour provoquer l’infection22.
Cultivars et moment de l’infection
La plupart des cultivars sont sensibles à cette maladie. La Rome Beauty, la Délicieuse rouge et Fuji seraient tolérants2,25 alors que la Ginger Gold et la Honeycrisp26 seraient particulièrement sensibles25. Cependant, les attaques sont plus fréquentes sur les cultivars hâtifs (ex : Paulared), probablement parce que les fruits qui gagnent en maturité sont plus sensibles quand il fait chaud. La baisse de la température à l’approche de la récolte est habituellement un frein important pour la propagation de la maladie. Des problèmes de pourriture amère sont parfois rapportés dans les cultivars tardifs (ex : Empire), mais le plus souvent dans des secteurs de vergers déjà affaiblis par d’autres facteurs (ex : gel hivernal). Lors d’automnes chauds les infections à la veille de la récolte peuvent provoquer l’apparition de symptômes qui n’apparaitront que quelques jours après la sortie de l’entreposage. Cependant, la maladie ne serait pas transmise pendant l’entreposage.
Mécanismes d’infection
Au moment de la transition de biotrophe inoffensif à nécrotrophe aggressif, le champignon augmente localement le pH en produisant de l’ammoniaque, d’où le goût « amer » parfois associé à la chair pourrie par le champignon. Comme le changement de pH intervient après l’infection, il est peu probable que des traitements acidifiants puissent à eux seuls réduire l’incidence de la pourriture amère.
Moyens de lutte :
Dans la plupart des vergers cette maladie est absente et aucune mesure particulière n’est nécessaire. Cependant, une fois la maladie présente et que les conditions sont favorables à l’infection elle peut rapidement prendre des proportions importantes et des mesures strictes sont requises pour l’enrayer.
Assainissement
Même si le champignon est souvent présent dans l’environnement, l’élimination des sources d’inoculum (chancres, branches mortes, fruits au sol et momifiés, etc) demeure la méthode privilégiée pour réprimer cette maladie et son efficacité est reconnue depuis très longtemps4. L’assainissement en verger est efficace parce que les spores sont normalement éclaboussées sur de courtes distances. Les sources les plus à risque et qui doivent être priorisées pendant l’hiver sont les branches affectées par le feu bactérien26 et les momies dans les arbres. L’enlèvement des fruits pourris à mesure qu’ils apparaissent peut aider quand les symptômes sont visibles tôt en saison (juin ou juillet) mais comme les spores peuvent perdurer sur les autres fruits à l’état quiescent, cette mesure n’est probablement pas rentable plus tard en cours d’été. De même, l’enlèvement rapide des branches récemment affectées par le feu bactérien aura un avantage double en diminuant la propagation du feu et en minimisant la propagation de Colletotrichum. Après la récolte, l’enlèvement des fruits pourris au sol ou au minimum leur destruction par fauchage est essentielle. Maintenir un couvre sol de graminées sans mauvaises herbes à feuilles larges pourrait aussi réduire la possibilité d’établissement du champignon pathogène. Éliminer toutes les sources d’inoculum n’est pas possible, mais réprimer la maladie sans réduire les sources locales de spores est très difficile26.
Atténuation des stress
Avant les périodes de chaleur intense, la réduction du stress hydrique (irrigation), des stress chimiques (bouillies pesticides) et éviter la taille des cultivars à maturité pourraient aussi diminuer les problèmes. Bien que ces facteurs ne soient pas confirmés, il est possible que l’utilisation de filets (ex : anti-grêle) qui limitent aussi les risques d’échaudure ou des applications de Kaolin ou d’autres écrans solaires appliqués avant les épisodes de stress puissent réduire la sévérité des attaques.
Traitements réguliers de calcium
En dehors des périodes de stress, des applications régulières de chlorure de calcium (CaCl2) à un taux faible (0,33kg /100 L au fusil soit environ 5kg/ha) se sont avérées aussi efficaces que des traitements fongicides28 pour réprimer la maladie. Le nitrate de calcium ne serait pas efficace27.
Traitements fongicides
Les traitements fongicides appliqués pour réprimer la tavelure en été réduisent partiellement la pourriture amère. Cependant quand les conditions climatiques favorisent la maladie, l’intervalle entre les applications est souvent trop important pour ralentir l’épidémie. Quand tous les facteurs sont réunis, des traitements aux deux semaines à partir du début juin jusqu’à la récolte peuvent être nécessaires, toutes chimies confondues. En absence d’autres mesures de contrôle, des traitements plus fréquents pourraient être requis.
Différents produits sont efficaces contre la pourriture amère, incluant le cuivre2,4 les EBDC (mancozeb, metiram, ferbam), le Captan29, les strobilurines (QoI)26, les SDHI26 (Luna, Merivon) etc. Certains fongicides plus récents (Allegro et Pristine) sont spécifiquement homologués pour des traitements estivaux contre cette maladie, mais en l’absence de balises les traitements ne sont pas toujours plus efficaces que les produits à moindre cout10. De plus, ces deux produits sont proscrits en production PFI. La bouillie soufrée4, les inhibiteurs d’ergostérols29 ne sont pas très efficaces. Le fongicide biologique Serenade Max (Bacillus subtilis) a une efficacité variable10,30.
La meilleure option fongicide en PFI demeure les applications ciblées de Captan à la veille des périodes de grande chaleur et renouvelées aux 10-14 jours.
Aucun traitement fongicide ne peut arrêter le développement des symptômes déjà visibles. Les traitements à la veille de la récolte ou en post récole ne sont donc pas généralement utiles contre la pourriture amère. Cependant, en absence de symptômes au moment de la récolte il est possible de traiter les pommes à l’eau chaude dès la sortie des chambres et éviter l’apparition des symptômes. Cette approche est fréquente en production biologique en Europe31.
Stress associés aux bouillies pesticides
Le cuivre (hydroxide) appliqué à dose faible (environ 500g métal/ha) au cours de l’été peut augmenter l’incidence de la pourriture amère10.
* La taxonomie de ce genre de champignon est complexe et les noms d’espèces rapportés dans la littérature ne sont pas toujours fiables. Certains auteurs réfèrent à C. acutatum et C. gloeosporioides sensu lato qui sont inclusifs de plusieurs espèces. Des noms d’espèces plus anciens comme Gloeosporium fructigenum sont aussi rapportés dans les articles.
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